Conclusion

Ce que nous avons appelé les relations « fortes » entre économie et biologie, c'est‑à‑dire celles qui découlent de l’approfondissement d’une métaphore constitutive par‑delà les limites traditionnelles de l’économie, avaient plusieurs sources, chacune créant des types très différents, et incompatibles entre eux, de relations interdisciplinaires. On a pu établir que la métaphore mécaniste a joué un rôle important dans le rapprochement des deux disciplines. Que ce soit dans sa version de la métaphore de l’optimisation, ou de la dynamique, elle s’est développée à la fois en biologie et en économie, favorisant les échanges analogiques entre ces deux disciplines.

La métaphore de l’optimisation maniée par Becker, Hirshleifer et Tullock encourageait les interprétations anthropomorphiques du comportement animal. En effet, nous avons vu que parmi les multiples sources qui se présentaient aux biologistes pour incorporer le formalisme des problèmes d’optimisation, la physique étant peut‑être le référent disponible le plus évident, mais c’est le langage de l’économiste, avec ses coûts et bénéfices, ses investissements, sa « monnaie, » et ses graphiques, qui peuplaient les articles en écologie du comportement et en théorie biologique de l’altruisme.

Samuelson faisait un usage bien plus neutre de la métaphore de la dynamique. Son point de vue l’amenait à réinterpréter l’altruisme, et la notion d’adaptation, comme de simples artefacts démographiques. Tullock était au milieu du gué, puisque s’il était l’économiste le plus actif dans l’application de la théorie microéconomique aux sociétés animales, il se montrait comme Samuelson réticent à placer l’altruisme parmi les phénomènes sociaux explicables par la maximisation de l’utilité – laissant ces phénomènes hors de portée de l’explication économique comme biologique.

On obtient également le résultat étonnant que la métaphore de l’intégration, contrairement à ce qu’aurait pu faire penser son rôle important en biologie, n’a joué qu’un rôle finalement mineur dans les rapports de cette discipline avec l’économie. Boulding resta très isolé dans sa proposition d’une intégration des sciences qui ferait une double place à la biologie : à la fois pourvoyeuse de concepts essentiels tirées de la physiologie (l’homéostasie de l’organisme) et de l’écologie (dynamique des populations), et sous‑système d’une théorie générale des systèmes englobant la réalité entière, depuis l’amibe jusqu’aux sociétés humaines. Le caractère grandiose de cette synthèse, mais surtout son aspect spéculatif, semble avoir découragé le développement de rapports plus approfondis entre économie et biologie sur ces lignes intégratrices.

Cette question de la portée explicative des analogies biologiques en économie se pose dans les trois cas étudiés dans cette première partie. Lorsqu’elles sont poursuivies en raison de l’attachement à une métaphore et en dépit des obstacles sémantiques (on pense à la redéfinition de l’altruisme par Samuelson dans son article de 1978), et logiques (les inférences trompeuses d’Hirshleifer sur le non-interventionniste), ces analogies biologiques semblent conduire au développement sans frein de systèmes déductifs plutôt que servir d’heuristique pour l’exploration de questions préexistantes en économie.