Chapitre 5. La condamnation de l’analogie biologique chez Penrose

Dans un article publié dans l’American Economic Review en 1952, Penrose critiquait l’utilisation de l’analogie biologique par Alchian et s’élevait contre l’usage de telles analogies dans la théorie de la firme et en sciences sociales plus généralement. L’attitude de Penrose peut sembler contradictoire avec la théorie de la croissance de la firme qu’elle développait à la même époque. En effet, celle‑ci avait bien des points de contacts avec une vision biologique du développement, au point que de nombreux commentateurs considèrent aujourd’hui que Penrose développa une théorie de l’évolution de la firme.

Dans une première partie, nous étudierons la nature de l’opposition de Penrose aux analogies biologiques, en montrant qu’elle mêlait des arguments de deux types. Penrose fournissait une rare analyse des difficultés analytiques posées par la juxtaposition terme à terme d’un processus de sélection en économie et en biologie. Cette analyse remettait en cause la vision organiciste de Boulding et la sélection naturelle économique d’Alchian et Enke. Un second type d’arguments faisait davantage écho au contexte social contemporain, et à la notion alors émergente de « darwinisme social », qui condamnait les relations entre biologie et sciences sociales quels que soient les modèles analytiques sous-jacents.

Dans une seconde partie, nous examinerons dans quelle mesure cette condamnation des analogies biologiques entre en cohérence avec la théorie de la croissance de la firme développée par Penrose. En nous appuyant sur la distinction entre théorie évolutionniste et théorie évolutionnaire développée en introduction générale, nous montrerons qu’on doit reconnaître des parallèles entre la théorie de Penrose et une conception ontogénique du développement. Pour autant, il ne s’agit pas d’un constat d’incohérence. Le souci de Penrose de prendre en compte l’influence réciproque de la firme et de son environnement, ainsi que sa reconnaissance du rôle subjectif des entrepreneurs au sein de la firme, lui permettent d’articuler une théorie évolutionniste de la firme qui ne soit pas le redoublement d’une théorie biologique du développement.