5.2.2. Une théorie évolutionniste mais sans analogie biologique

De quelle façon cette théorie de la croissance de la firme de Penrose était‑elle « proche » de théories semblables en biologie, et de quelle manière s’en distinguait‑elle ?

Foss (1998 ; 1999, p. 151) estime que l’insistance de Penrose sur la causalité cumulative et sur les actifs de la firme comme connaissance partagée (group‑based knowledge assets) donne un « goût » véblenien à sa théorie, tandis que son évocation du changement endogène (change from within) lui donnerait un « goût » schumpetérien. D’après Foss, on pourrait trouver un aspect évolutionnaire à la théorie de la croissance de la firme de Penrose, car elle serait « en cohérence avec une explication comprenant, par exemple, les trois mécanismes de base du changement biologique évolutionnaire, savoir : hérédité, variation et sélection ». (Foss, 1998, p. 483) Cette interprétation gagne du crédit depuis le milieu des années 80, en raison du développement de théories en gestion stratégique centrées sur les ressources (resource based) inspirées de la théorie de Penrose 194 .

Ces théories font des ressources de la firme la source essentielle de l’avantage concurrentiel d’une firme. Dès lors, leur capacité à être mises à jour et s’accorder à un environnement changeant (dynamic capabilities) serait une question semblable à celle du rôle joué par les routines, ou les gènes, dans une dynamique évolutionnaire. Les « ressources » seraient ce matériau héréditaire qui, par sa permanence et les mutations qu’il subit, serait la véritable explication de la performance relative des firmes. Selon cette perspective, la théorie de Penrose peut être alors placée aux côtés de l’œuvre de Schumpeter (1911) et Nelson et Winter (1982) comme posant les fondations d’une analyse stratégique dynamique des firmes centrée sur leurs compétences internes (Teece, Pisano et Shuen, 2003, p. 338). Nous pensons que cette lecture de la thèse de Penrose lui attribue un caractère évolutionnaire qui ne s’y trouve pas, et nous proposons que la théorie de la croissance de Penrose était en revanche clairement évolutionniste 195 .

Notes
194.

C’est un fait que cette littérature cite Penrose parmi ses inspirations canoniques. La parenté effective entre l’approche centrée sur les compétences et l’œuvre de Penrose reste en revanche abondamment discutée (Foss, 1999 ; Kor et Mahoney, 2004 ; Rugman et Verbeke, 2002, 2004 ; Lockett et Thompson, 2004).

195.

Voir notre introduction générale (p. 27 et suivantes) pour une discussion de ces deux types d’évolutionnisme.