6.1. La biologie : une inspiration plus qu’un référent strict (1957‑1968)

6.1.1. Rupture et continuité avec la thèse d’Alchian

D’une réflexion sur l’incertitude à la R&D

Nelson engagea une réflexion sur l’incertitude dans le cadre des travaux sur la recherche et développement menés à la RAND Corporation, à laquelle il avait été recruté par l’économiste Burton Klein à l’été 1957. Collaborateur d’Alchian et sensible comme lui aux problèmes posés par l’incertitude dans l’analyse économique, Klein affecta Nelson à l’étude des déterminants de l’innovation dans un contexte civil 204 .

Entrepris à l’été 1957, ce travail fut achevé en décembre et publié en 1959 dans le Journal of Business. Après une première section qui examinait le rôle du profit dans l’émergence des inventions, Nelson consacrait une deuxième section au caractère fondamentalement incertain de l’activité innovante. Une de ses conclusions reprenait la position défendue par Klein et Alchian à la RAND :

‘[L]a tentative de planifier un programme de développement en détail mènera à la frustration et à l’échec si le programme représente un bond en avant significatif. D’habitude – et pas quelques fois seulement – des obstacles imprévus sont découverts, et beaucoup d’obstacles prévus s’avèrent relativement faciles à surmonter. Comme la solution qui était estimée prometteuse au début du programme se révèle souvent être trop faible, des efforts parallèles sont souvent souhaitables. (Nelson, 1959a, p. 113) 205 .’

L’analogie darwinienne, qui dans l’article d’Alchian avait servi à formuler l’argument de la non maximisation ex ante pour converger statistiquement vers une sélection de projets efficaces, avait désormais complètement disparu de l’exposé.

Parallèlement, Nelson développait des modèles analytiques destinés à déterminer le nombre optimal de projets devant être menés simultanément lors des premières phases de développement (Nelson, 1959b, 1961), en suivant rigoureusement le cadre analytique tracé par les économistes de la RAND. Dans le même temps, il se familiarisait avec les travaux de Winter, qui venait d’être recruté à la RAND et qui s’intéressait lui aussi à la R&D.

Notes
204.

Né en 1930, Richard R. Nelson avait obtenu son B.A. en économie à Oberlin en 1952. Il avait soutenu à l’Université de Yale en 1956 une thèse intitulée A Theory of the Low Level Equilibrium Trap in Underdeveloped Economies, dont les conclusions principales avaient été publiées l’année même dans l’American Economic Review (Nelson 1956). Nelson conserva tout au long de sa carrière de chercheur ce double intérêt pour la dynamique économique de long‑terme et pour la lutte contre le sous‑développement. À l’obtention de sa thèse, il choisit de passer un an au MIT où il poursuivit des études d’ingénieur en premier cycle. Il s’agissait pour Nelson de compléter ses cours d’économie sur le changement technologique par une connaissance plus empirique des aspects techniques du problème. Il accepta ensuite un poste d’enseignement en économie à Oberlin College. Au printemps 1957, il eut un entretien avec Klein, qui faisait des visites régulières aux installations de recherche de l’Air Force toutes proches. Les archives de la RAND indiquent que Nelson fut inscrit en tant qu’employé de la RAND à partir du 16 juillet 1957, un poste qu’il ne quittera que pour rejoindre le Council of Economic Advisors de Kennedy en juin 1961. Cette notice biographique est rédigée d’après Hounshell (2000, p. 278) et Nelson (entretien, 2006).

205.

« [T]he attempt to plan a development program in detail will lead to frustration and failure if the program represents a significant leap forward. Usually, not just sometimes, unexpected obstacles are discovered, and many expected ones prove relatively easy to solve. Since the solution deemed most promising at the start of the program often turns out to be a poor one, parallel efforts are often desirable ».