Conclusion

L’étude de la nature effective de la relation entre économie et biologie tracée par l’évolutionnisme économique aboutit à des résultats originaux. Contrairement à l’équation qui est couramment tracée entre « évolutionnisme » et « biologie, » notre étude montre que l’évolutionnisme économique représente une modalité relativement faible de rapprochement entre économie et biologie.

Dès l’origine, la sélection naturelle était une analogie conçue dans une dimension non spécifiquement biologique : Alchian y voyait l’œuvre d’un processus caractérisant aussi bien les phénomènes décrits par la mécanique statistique que la biologie évolutive – c’était avant tout à ses yeux la manifestation d’une propriété statistique, sans origine disciplinaire identifiable. Cette relation entre économie et biologie est également ténue en raison du refus de Nelson et Winter de développer systématiquement le principe de sélection au cœur de leurs modèles, et d’en faire un principe général applicable par delà les frontières disciplinaires. Ici, la méthodologie inductive des auteurs était un obstacle efficace (et bienvenu de notre point de vue) à l’entreprise d’une telle quête, qui les aurait détournés de l’étude des faits économiques qu’ils essayaient d’expliquer.

Penrose semble avoir joué un rôle à double titre dans cette direction « non biologique » prise par l’évolutionnisme économique. Sa critique des analogies biologiques a eu une portée effective en obligeant Alchian à expliciter la distance qu’il prenait avec le référent biologique. Cette critique a également dressé la liste d’un certain nombre de difficultés analytiques s’opposant à l’importation directe de principes darwiniens en économie, traçant de fait un programme de recherche exigeant pour qui voudrait développer un évolutionnisme en économie.

Le deuxième résultat obtenu est que de façon concomitante, cette distance avec le référent biologique a permis une théorisation créative en économie. Comme le rappelle Ménard (1988), l’analogie est certes utile, mais la science n’avance que lorsqu’une « différence » est mise au jour entre le principal et le subsidiaire de l’analogie. La théorie de Penrose, dont nous avons montré qu’elle était évolutionniste plutôt qu’évolutionnaire, répond à cette exigence. Parce qu’elle prenait en compte la subjectivité de la relation entre la firme et son environnement, sa théorie de la croissance de la firme n’était pas une pâle copie d’une théorie ontogénique du développement de l’organisme. De la même façon, la théorie du changement économique de Nelson et Winter est un exercice unique de modélisation évolutionnaire qui s’appuie sur un riche panel de caractéristiques empiriques des firmes – dont toutes ne trouvent pas d’équivalent par analogie biologique stricte. Cette perspective aboutit à relativiser les critiques qui jugent que la théorie évolutionnaire de Nelson et Winter cadre imparfaitement avec les principes d’un darwinisme universel. C’est effectivement le cas, mais les résultats obtenus en sont d’autant plus significatifs.