Le contrat de Tricastin, la navigation fluvio-maritime moderne.

Après avoir contribué au commerce de certaines cités rhodaniennes, le fluvio-maritime a connu une période « tourmentée ». Délaissée au profit de la route, du chemin de fer ou même du fluvial, l’activité fluvio-maritime redémarre sur le Rhône à la fin du XXème avec le contrat de Tricastin. Des navires fluvio-maritimes de 3ème génération (suite aux avancées apportées par le capitaine G. Wessels) commencent à fréquenter le Rhône. Le premier voyage d’un caboteur moderne sur le Rhône date de 1977. L’arrivée de navires fluvio-maritimes de 3ème génération résulte de la conjonction de deux éléments : la mise à grand gabarit du Rhône (achevée le 21 mars 1980) et la construction de l’usine de Tricastin nécessitant l’acheminement de pièces lourdes et fragiles. Le voyage inaugural (1er juin 1977) est un voyage de faisabilité pour s’assurer de la possibilité d’acheminer des colis pondéreux par voie maritime jusqu’au chantier de l’usine Eurodif de Pierrelatte, communément appelée usine de Tricastin.

La décision prise par la France, la Belgique l’Italie et l’Espagne de construire une usine d’enrichissement d’uranium a provoqué une demande de transports exceptionnels. Il s’agissait d’acheminer des masses lourdes, encombrantes et indivisibles depuis les côtes espagnoles et italiennes. Le choix du mode de transport s’est alors porté sur le fluvio-maritime. La suppression de ruptures de charge a été décisive. L’offre d’une cale unique, rectangulaire et de bonne dimension a aussi constitué un critère de sélection. Les pièces expédiées depuis l’Espagne ou l’Italie s’affranchissaient d’un transbordement coûteux et « périlleux » au Port Autonome de Marseille. Elles étaient directement débarquées à Pierrelatte. Un autre avantage était la possibilité de transporter en une seule fois une dizaine de pièces, soit 280 tonnes en moyenne par voyage. La signature du contrat de Tricastin a permis de fixer certains navires fluvio-maritimes sur le Rhône pendant trois années.

Entre le second semestre 1978 (démarrage des travaux) et le premier semestre 1981, les navires fluvio-maritimes ont acheminé 58.000 tonnes de pièces en 210 voyages sans incident. Le respect des termes du contrat a été une vitrine du fluvio-maritime, démontrant auprès des chargeurs de la région la fiabilité et la qualité d’un mode de transport méconnu.

Le contrat Tricastin garantissait les trafics à l’import. Pour les échanges à l’export rien n’était prévu. C’est donc à vide que les navires descendaient le Rhône pour gagner les sites de production – d’approvisionnement – italiens ou espagnols. Les armateurs libres d’agir pour les flux à destination de la Méditerranée se sont alors mis à la recherche de trafics pour équilibrer les voyages d’importation sur le Rhône. Les intérêts respectifs des chargeurs-exportateurs de céréales et ceux des armateurs se sont rejoints. Les grands céréaliers étaient face à la saturation de la gare ferroviaire de Modane : infrastructure insuffisante pour absorber l’augmentation des envois sur l’Italie : manque de fiabilité des opérateurs ferroviaires (SNCF et les Ferrovie dello Stato), tarifs peu compétitifs.

Les céréaliers ont par conséquent recherché de nouvelles solutions de transport et de nouveaux clients. Ils se sont alors tournés vers le maritime. Lui aussi était confronté à certaines difficultés, dont le passage portuaire à Marseille. Le fluvio-maritime a su démonter son potentiel et attirer de nouveaux chargeurs. Les premiers voyages fluvio-maritimes dans le sens Rhône-Alpes – Italie ont démarré pour la campagne céréalière 1978-1979. Les fluvio-maritimes ont progressivement pris des parts de marché au ferroviaire jusqu’à se spécialiser dans le trafic de céréales. En 2002 les produits agricoles représentaient environ 50% de l’activité fluvio-maritime sur le bassin Rhône-Saône avec plus de 350.000 tonnes. En 2005 la part des céréales s’est réduite en pourcentage, environ 45% du trafic. Elle augmente cependant en volume avec plus de 380.000 tonnes transportées.

Le développement des frets agricoles s’est accompagné d’une diversification des trafics fluvio-maritimes. En 1979, débutent des importations de phosphates et d’engrais pour les sites provençaux de production d’engrais. Quelques voyages de ferro-nickel sont réalisés entre la Grèce et l’Ardoise (Gard). En 1980, la diversification des trafics se poursuit avec des importations de bentonite depuis la Sardaigne sur le port de Valence (Drôme) et de produits sidérurgiques italiens à Lyon.

Le tableau ci-dessous reprend l’évolution du trafic fluvio-maritime depuis son « apparition » sur Rhône-Saône à nos jours.

Tableau 2 : Les trafics fluvio-maritimes sur Rhône-Saône de 1977 à 2005.
Tableau 2 : Les trafics fluvio-maritimes sur Rhône-Saône de 1977 à 2005.

Source : Office National de la Navigation7 – Voies Navigables de France

Nous aborderons plus en détail l’analyse des trafics fluvio-maritimes dans une section suivante.

L’arrivée de navires fluvio-maritimes avec l’accomplissement du contrat Tricastin a fait émerger sur le bassin Rhône-Saône une nouvelle offre. Ce nouvel outil de transport a dans une certaine mesure, pour reprendre la formule de J-B Say, « créé sa propre demande ». Le fluvio-maritime a su cristalliser certains trafics (céréales). À partir de cette base il a été en mesure d’élargir sa zone de marché. Sa progression sur Rhône-Saône est spectaculaire. Le trafic total a été multiplié par plus de 60 entre 1977 et 2005. Il reste néanmoins un mode de transport encore méconnu et marginal. Il est en deçà des performances du fluvial et ses 6,7 millions de tonnes en 2005 sur Rhône-Saône. Son évolution est par ailleurs plus contrastée depuis 2002 enregistrant des fluctuations de trafics.

Notes
7.

en 1991 l’ONN a été remplacé par VNF.