Organisation et acteurs.

Le fluvio-maritime appartient à l’industrie maritime et plus particulièrement au secteur du vrac. Contrairement au secteur de transport par lignes régulières, le transport maritime de vrac n’obéit pas à des calendriers de rotations de navires préétablis. Un transport répond généralement à une demande, un besoin d’acheminement spécifique. Le transport s’effectue à la demande : tramping. Les navires opèrent des voyages dans le cadre de l'exécution de contrats à court ou long terme. Toute la cargaison embarquée est homogène et appartient souvent à un seul et unique propriétaire.

Le transport maritime de vracs se décompose en quatre sous-secteurs : les vracs secs (matières premières industrielles : charbon, minerai de fer, céréales, bauxite/alumine…), le pétrole, les gaz liquéfiés et les produits chimiques liquides.

Le transport de vracs se caractérise par des navires construits pour un type de marchandises et inutilisables pour d'autres. À l’inverse des porte-conteneurs qui peuvent acheminer tout type de marchandises : sous température dirigée (refeer), liquide (tank), vrac, en lots partiel ou complet (full container load ou less than container load), les vraquiers se limitent souvent à un panel de marchandises (par exemple les céréales). Il existe en conséquence une flotte spécialisée pour chaque type de cargaison (céréaliers, minéraliers, pétroliers ou gaziers). L’offre de transport et les taux de fret ne sont pas déterminés par l'ensemble des navires de vrac, mais par l’offre de navires spécialisés.

Le marché du transport de vracs maritimes est un environnement relativement ouvert et concurrentiel. Les taux de fret reflètent les évolutions du marché et les pressions respectives de l'offre et de la demande. Toutefois, à l’image du secteur de la ligne régulière des groupements (consortium, alliance) de transporteurs peuvent se constituer. Ces groupements, appelés pools, ont habituellement une durée de vie assez brève et ne parviennent pas à orienter ou contrôler le marché.

Dans le cadre d’un pool, les compagnies maritimes peuvent partager les profits et les pertes réalisés par leurs flottes respectives. Nous pouvons citer en exemples : les pools regroupant les intérêts norvégiens, chinois ou russes.

Les accords de pool visent à :

  • Exercer un plus grand contrôle sur le marché et améliorer les profits grâce à une négociation commune face aux affréteurs ;
  • Accroître la possibilité d'être en position dominante sur un marché donné, et/ou de pénétrer de nouveaux marchés en maîtrisant l'expérience ou les contacts commerciaux des autres compagnies membres (l'équivalent dans le transport maritime de lignes régulières des alliances stratégiques) ;
  • Disposer d’une plus grande flexibilité : échange de navires entre membres d’un pool ; ceci peut permettre à un membre de tirer parti des possibilités d'affrètement qu'il n'aurait pas pu saisir s'il avait dû repositionner ses navires pour enlever une cargaison donnée ;
  • Doter les membres du pool de pouvoirs de négociation accrus pour passer commande de navires neufs : obtenir des conditions de prix plus favorables auprès des chantiers navals.

Malgré l’existence d’accords de coopération (de portée minime), la structure du secteur des vracs compte un grand nombre de petits armateurs ne possédant qu’une « poignée » de navires, contrairement au transport de lignes régulières dominé par un nombre restreint de grandes sociétés d’armement. Il découle de cette organisation trois grandes particularités :

  • Une concurrence intense pour les cargaisons qui conduit à des taux de fret compétitifs.
  • Des possibilités limitées d’actions concertées entre armateurs en vue d’éliminer ou de contrôler le tonnage afin d’adopter une stratégie de soutien des taux de fret (absence de conférences). La portée des pools est limitée.
  • Une politique draconienne en matière de coûts d’exploitation (rester compétitif parfois au prix de conséquences humaines et environnementales). Ces pratiques peuvent se solder par un certain manque de lisibilité en matière de renouvellement de la flotte (démolition/construction).

Le marché des vracs est également caractérisé par une certaine instabilité. Les différents marchés des matières premières sont relativement volatils. Les taux de fret suivent cette évolution. Un accroissement du prix de l’acier se traduira par la constitution de stocks. Le nombre d’approvisionnements progressera créant des tensions sur le marché de transport.

Nous retrouvons dans le transport fluvio-maritime ces caractéristiques. Sur Rhône-Saône les navires fluvio-maritimes répondent à des demandes de transport spontanées : tramping. Les unités se positionnent principalement sur les vracs solides : minerais, céréales, engrais… Elles acheminent / vont chercher la marchandise au plus près de sa destination / son origine tout en limitant le nombre de manutentions. Les frets sont déterminés par les ports desservis, la marchandise transportée (il est plus coûteux de transporter des colis lourds que des céréales) et la flotte disponible. Au départ de Rhône-Saône la desserte de la partie Ouest du bassin méditerranéen (Italie du Sud, Maghreb), s’effectue principalement à des taux oscillant entre 20 et 30 euros par tonne.

Les armements8 présents sur Rhône-Saône sont représentés par quelques consignataires ou agents fluvio-maritimes9. Ces agents représentent dans le port l’armateur ou l’affréteur du navire. Leurs compétences sont relativement vastes. Ils organisent l’escale dans ses moindres détails, délivrent la marchandise et assistent le capitaine. Ils s’assurent également que le navire, dont ils ont la charge, soit en conformité avec les diverses réglementations maritimes. En raison de la particularité du fluvio-maritime, leur domaine de compétences s’élargit à la navigation fluviale. Par conséquent en plus du respect des règles maritimes, ils veillent à ce que les navires soient en conformité avec les règles de navigation intérieure. Ces agents ont parfois une double casquette, ils sont également courtier d’affrètement. Les courtiers en affrètement se chargent de recruter le fret. Ce sont des intermédiaires qui mettent en relation chargeurs et transporteurs en vue de la conclusion d’un contrat de transport maritime ou fluvio-maritime.

Les affrètements de navires peuvent s’effectuer à temps ou prompts : mise à disposition du navire pour un seul et unique voyage. L’armateur garde la responsabilité de la gestion nautique (recrutement de l’équipage, entretien, assurance…) et commerciale (routage) du bâtiment. Le taux de fret dépend du marché au moment de l’affrètement. Nous pouvons également parler de contrat au voyage.

Le chargeur a également la possibilité de conclure des contrats au tonnage. Le transporteur s’engage à acheminer pendant une période fixée un tonnage déterminé, moyennant un prix à la tonne librement débattu entre les deux parties. Cette formule présente l’avantage de garantir des taux de fret constants quelle que soit l’évolution du marché. Si ce dernier est à la hausse l’accord est à l’avantage du chargeur (il ne subit pas la montée des frets) et au détriment de l’armateur (qui ne profite pas de la montée des prix) ; et inversement lorsque la tendance du marché est à la baisse.

Les armateurs ont tendance à privilégier les contrats au tonnage. Ces derniers leur assurent un fond de cale nécessaire à l’exploitation de leur(s) navire(s). A l’image d’un filet de sécurité, l’embarcation est assurée d’un certain niveau d’activité au cours d’une période donnée. Ainsi, les armateurs cherchent à se couvrir contre une partie des risques d’exploitation en s’engageant dans des contrats au tonnage tout en conservant une certaine marge de liberté, pour répondre à des contrats au voyage ou spot.

Sur Rhône-Saône, le fluvio-maritime se positionne exclusivement sur le transport de vracs secs (céréales, produits métallurgiques, colis lourds…). Les logistiques peuvent s’effectuer dans des logiques de contrats à la demande (spot) en répondant à des besoins précis ou dans le cadre de contrats au tonnage (transport de céréales). L’expérience de la ligne régulière conteneurisée a été tentée. Toutes les tentatives se sont cependant soldées par des échecs. Ces revers n’ont pas tous les même origines : concurrence d’armements maritimes ; concurrence de la route, plus flexible et plus rapide ; méconnaissance ou méfiance des opérateurs de transports terrestres vis-à-vis du transport (fluvio-)maritime (d’où une période attentiste pendant la phase de lancement, souvent fatale aux lignes nouvelles). Le nouveau service doit faire ses preuves, démontrer sa fiabilité et sa pérennité.

Nous aborderons plus loin la question des lignes régulières fluvio-maritimes au départ du couloir rhodanien.

Notes
8.

West Trade, Maritramp, Seaway, Arpa shipping pour ne citer que les plus récurrents sur le bassin.

9.

Il s’agit de consignataires et non d’agents. Toutefois, dans le jargon fluvial du bassin Rhône-Saône, ils sont désignés sous l’appellation d’agents. Dans un souci de lisibilité nous retiendrons la désignation d’agents, bien qu’elle ne soit pas correcte.