A. La géographie du fluvio-maritime : l’analyse de Rissoan.

La solution fluvio-maritime n’est intéressante que si l’économie liée à la suppression de la rupture de charge compense la somme des deux surcoûts (fluvial et maritime). Le fluvio-maritime offre des taux de fret supérieurs au maillon fluvial et au maritime si nous le considérons de manière isolée sur chaque segment de transport. Nous reprenons l’équation 1 définie précédemment :

Équation 18 : L’équation du fluvio-maritime :
Équation 18 : L’équation du fluvio-maritime :

Cette équation devient :

L’économie du coût de transbordement finance alors en intégralité le surcoût fluvial. Le parcours maritime est donc nul. Rissoan détermine ainsi la distance fluviale maximale qui annule tout avantage de coûts du fluvio-maritime. Il fait correspondre à cette distance, le port fluvial le plus proche, mais dont la distance par rapport à la mer est inférieure à la distance fluviale maximale obtenue.

Nous reprenons l’analyse numérique de Rissoan. Les éléments de coûts ci-dessous ne sont plus d’actualité. L’ouvrage auquel il est fait référence date de 1987.

Rissoan suppose le transport d’un lot de 1.200 tonnes. Pour des produits pulvérulents (phosphates, argiles…) le coût moyen de transbordement était de 5,33 euros/tonne.

Connaissant le coût du transbordement et le montant du surcoût fluvial estimé à environ 0,02 centime d’euro par t-km, Rissoan recherche la distance fluviale qui annule l’avantage de coûts du fluvio-maritime. Cette distance fluviale est exprimée par "x".

Dans le cadre d’un transport d’argile nous avons donc : 0,02 × 1.200 × "x" = 6.400 euros 21

Nous obtenons "x" = 233 km

Rissoan fait correspondre Valence (198 km) aux 233 km obtenus. Il estime ensuite le surcoût fluvial pour desservir ce port. Ce surcoût est inférieur au coût de transbordement. Il reste donc un reliquat permettant de compenser le surcoût maritime.

Le surcoût fluvial pour desservir Valence était de 5.400 euros contre 6.400 euros pour les frais de transbordement :

0,02 × 1.200 × 198 = 5.400 euros.

Les 1.000 euros restant servent alors à financer le surcoût maritime.

Faute d’éléments chiffrés sur le segment maritime, Rissoan n’a pas été en mesure d’évaluer le surcoût maritime. Toutefois, ramenée à la tonne la somme de 1.000 euros permettait de compenser un différentiel de fret sur le segment maritime (entre fluvio-maritime et maritime pur) de 0,85 euro/tonne. Le fluvio-maritime pouvait donc offrir des frets sur le segment maritime au plus supérieurs de 0,85 euro/tonne à ceux d’un caboteur de taille équivalente. Rissoan a recherché les frets pour différentes destinations en Méditerranée répondant à ces critères. Il a ainsi pu dégager l’aire de navigation du fluvio-maritime.

Ce raisonnement peut être exprimé graphiquement :

Supposons un transport de marchandise entre un port fluvial du bassin Rhône-Saône (le point A, Lyon) et un port du bassin méditerranéen (le point B, Gênes). Les chargeurs peuvent choisir entre deux modalités d’acheminements : le fluvio-maritime et le fluvial associé au maritime. Les tonnages transportés sont semblables. Le point C indique le port dans lequel la marchandise est transbordée du fluvial vers le maritime, il s’agit dans notre exemple de Marseille.

Figure 14 : Chaîne de transport fluvio-maritime, relation entre coûts et distance
Figure 14 : Chaîne de transport fluvio-maritime, relation entre coûts et distance
Figure 15 : Chaîne de transport « fluvial + maritime », relation entre coûts et distance.
Figure 15 : Chaîne de transport « fluvial + maritime », relation entre coûts et distance.

Dans le cas du fluvio-maritime, les coûts de transport s’accroissent proportionnellement à la distance (cf. figure 14). Les points A et B sont ralliés directement sans rupture de charge. Le point C, point de passage d’un environnement à l’autre : du fluvial vers le maritime ou vice-versa, n’est qu’une simple zone de transit22 ne nécessitant aucune opération particulière. En C la pente de la droite de coût se modifie. Les navires fluvio-maritimes supportent sur le fleuve certains postes de coûts qu’ils ne retrouvent pas en mer (TIPP, taxes VNF, pilotage de rivière…).

La chaîne « fluvial + maritime » (cf. figure 15) nécessite un transbordement de la marchandise du fluvial vers le maritime. Sur les segments fluviaux et maritimes, les coûts de transport sont proportionnels à la distance parcourue. En C, le transfert de marchandise du fleuve vers la mer génère un coût indépendant de la distance parcourue. La droite de coût se modifie pour prendre une forme de marche d’escalier. La fonction de coût intègre un terme qui reste fixe quel que soit le parcours accompli en mer et sur le fleuve.

En exprimant sur un même graphique les coûts de chaque chaîne de transport nous pourrons identifier la distance maximale admissible en mer par fluvio-maritime. Cette distance correspondra au point d’intersection entre les deux courbes.

Figure 16 : La zone de pertinence du fluvio-maritime.
Figure 16 : La zone de pertinence du fluvio-maritime.

Le fluvio-maritime (CFM) est plus coûteux sur chaque segment de transport. La courbe de coût présente sur chaque section (fluvial et maritime) une pente plus forte. La desserte du point B peut être réalisée par fluvio-maritime, moins coûteux. La zone de pertinence du fluvio-maritime est délimitée par d m *. Les surcoûts sont compensés par la suppression de la rupture de charge (point C). À partir de d m * la solution « fluvial + maritime » (Cf + m) est financièrement plus intéressante.

Si le coût de la rupture de charge venait à diminuer, l’aire de navigation du fluvio-maritime se réduirait : d m * se déplacerait vers la gauche. Inversement pour toute augmentation du coût de transbordement.

Une réduction de la distance parcourue sur le fleuve élargira l’aire d’action du fluvio-maritime. Le surcoût fluvial diminuera alors que le montant de l’économie du coût de transbordement restera inchangé. Le surcoût maritime pourra s’accroître d’un montant égal à la baisse du surcoût fluvial. Ainsi la distance maximale admissible en mer pourra augmenter.

Soit un lot de marchandise à transporter. Les unités de transport utilisées sont identiques au cas précédent. Seul le port fluvial d’origine change. La marchandise n’est plus expédiée depuis A (Lyon) mais depuis D (Arles), plus proche de la mer. La destination et le point de rupture de charge restent inchangés (C et B). Les fonctions de coût se modifient : CFM D pour le fluvio-maritime et Cf + m D pour l’option « fluvial + maritime ».

Figure 17 : Variation du surcoût fluvial et zone de pertinence.
Figure 17 : Variation du surcoût fluvial et zone de pertinence.

La desserte fluvio-maritime du point B est toujours possible. En revanche la zone de pertinence, jusqu’alors délimitée par d m *, s’est accrue. Désormais d m ** en constitue la frontière.

Une baisse du tonnage à transporter se traduirait par une réduction de l’aire de navigation du fluvio-maritime. Le coût de transbordement se réduisant, l’enveloppe permettant de financer les surcoûts fluvial et maritime diminuerait également. La contraction des tonnages à transporter est, par ailleurs, accentuée par l’existence de sous-capacités de transport.

L’aire de navigation du fluvio-maritime dépend donc des trois paramètres suivants :

  • Le coût de manutention : plus la manutention est coûteuse ou de mauvaise qualité plus la compétitivité du fluvio-maritime est renforcée. Le fluvio-maritime constitue une alternative intéressante pour des marchandises dont la manutention est complexe et peu productive (colis lourds). Inversement, lorsque les manutentions sont fortement productives (conteneurs), la pertinence du fluvio-maritime est dégradée. Le coût de manutention dépend également du tonnage transporté.
  • Le niveau de pénétration continentale : il est exprimé par d f . Plus la distance parcourue sur le fleuve se réduit plus le surcoût fluvial diminue. Ceci contribue à élargir la zone de pertinence du fluvio-maritime. Inversement lorsque le niveau de pénétration continentale s’accroît.
  • Le mode de transport terrestre : dont le coût déterminera le niveau du surcoût terrestre - il s’agit du fluvial dans notre étude, le moins coûteux des modes terrestres - qui permettra ensuite de définir le parcours réalisable en mer.

Rissoan (1987) fonde son analyse sur un navire fluvio-maritime de référence. Or, la cale fluvio-maritime offre des capacités de chargement disparates. Par ailleurs, les ports de l’axe Rhône-Saône n’offrent pas tous un accès nautique similaire. Ceci tend à faire varier la charge utile des navires fluvio-maritimes. Ainsi, la cale n’est pas toujours optimisée. Certains navires effectuent des opérations de transport en sous-capacité en raison des contraintes physiques (infrastructure, accès nautique) et/ou d’une taille des lots insuffisante. La délimitation de l’aire de navigation du fluvio-maritime doit prendre en considération l’ensemble de ces paramètres. En s’inspirant de l’analyse de Rissoan nous tentons d’intégrer ces différents éléments dans notre étude de l’aire de navigation du fluvio-maritime. Nous sommes cependant contraints de poser certaines hypothèses dont le détail est présenté dans les sections suivantes.

Par souci de simplification, les unités de transport auxquelles il est fait référence sont les plus représentatives du maillon qu’elles matérialisent (fluvio-maritime, maillon terrestre et maillon maritime). Le détail de ces unités est repris ci-après.

Sous la contrainte de réaliser une économie de ˝x%˝ en comparaison avec l’option « fluvial+maritime » ;

Au départ d’un port de Rhône-Saône, pour un tonnage donné quelle est la distance maximale admissible en mer pour un navire fluvio-maritime ?

Notre approche reprend et complète celle de Rissoan. L’apport se situe au niveau de la prise en compte des « transports de vides » (variation des tonnages transportés) ; de la disparité des accès nautiques et de la diversité des flottes fluvio-maritimes, fluviales et maritimes.

Notes
21.

6.400 euros = 1.200 tonnes × 5,33 euros/tonne.

22.

Les navires fluvio-maritimes pour rallier la Méditerranée au départ du bassin Rhône-Saône sont obligés de traverser les installations du Port Autonome de Marseille (les bassins Ouest à Fos).