C.2.c) La pertinence du FM3.

Avec une capacité d’emport de 2.500 tonnes, le FM3 est le plus grand navire fluvio-maritime de notre étude comparative. Il est toutefois soumis aux contraintes posées par l’infrastructure. Il dessert Arles en exploitant la totalité de sa cale (2.500 tonnes), pour Lyon le tonnage est réduit à 1.500 tonnes et 1.300 tonnes pour Chalon. C’est également le navire qui se rapproche le plus des caractéristiques des unités composant la chaîne « fluvial+maritime ».

Les paramètres de calculs sont :

Graphique 16 : Zones de pertinence du navire FM3 au départ de différents ports de l’axe Rhône-Saône.
Graphique 16 : Zones de pertinence du navire FM3 au départ de différents ports de l’axe Rhône-Saône.

Source : Lopez C.

Au départ d’Arles la totalité des ports méditerranéens peut être touchés par le FM3. L'allure de la zone de pertinence est atypique. En effet, entre 2.000 et 2.100 tonnes, une marche d’escalier se forme. Le brusque accroissement de l’aire de navigation provient d’un changement d’unité sur le segment fluvial.

L’automoteur est privilégié pour des acheminements jusqu’à 2.000 tonnes incluses. Pour tout volume supérieur à ce tonnage, le convoi poussé est préféré. Il est cependant en sous-capacité. Ce dernier est moins coûteux que la mise en service de deux automoteurs (l’un à pleine capacité, l’autre partiellement chargé). Aux alentours de 2.000 tonnes, le convoi poussé est loin de ses limites maximales de chargement (4.400 tonnes) alors que le FM3 en est relativement proche (2.500 tonnes). Le passage vers une catégorie d’unité fluviale supérieure réduit le surcoût fluvial en valeur absolue. Le FM3 peut alors allonger son périple maritime dans le respect de la contrainte d’économie de coûts.

À pleine capacité (2.500 tonnes), l’aire de navigation du FM3 est proche de 10.000 kilomètres. Une distance qui dépasse largement les limites géographiques de la Méditerranée. Ceci peut expliquer certaines expéditions de tourbe depuis l’Europe du Nord (Allemagne, Lettonie) sur Arles pour la production d’engrais.

Au départ de Lyon, le FM3 a la possibilité de desservir toute l’Italie. Il existe toutefois un tonnage plancher de pertinence (900 tonnes).

Carte 8 : Zone de pertinence du navire FM3 au départ de Lyon.
Carte 8 : Zone de pertinence du navire FM3 au départ de Lyon.

Source : Lopez C.

L’aire de navigation du FM3 est nettement plus petite que celle du FM2 ou du FM1 au départ de la cité rhodanienne. Comparativement, pour un transport de 1.000 tonnes le FM1 couvre une distance maritime de 2.600 kilomètres (Turquie), 1.300 kilomètres pour le FM2 (Italie du Sud) contre 400 kilomètres pour le FM3 (golfe de Gênes).

Le FM3 est non seulement le plus gros des navires fluvio-maritimes de notre étude, il est également le plus coûteux. Ceci conjugué à une exploitation en sous-capacité au-delà d’Arles altère fortement son niveau de compétitivité.

Le FM3 n’est pas pertinent au seuil de 15% au départ de Chalon en revanche pour une contrainte ramenée à 10%, il peut desservir toute la Méditerranée occidentale : le Maghreb, l’Italie et ses îles (cf. carte 9).

Carte 9 : Zone de pertinence du navire FM3 au départ de Chalon, pour une réduction de coût de 10%.
Carte 9 : Zone de pertinence du navire FM3 au départ de Chalon, pour une réduction de coût de 10%.

Source : Lopez C.

Au seuil de 10%, l’aire de navigation du FM3 au départ de Chalon correspond à son aire d’action : partie occidentale de la Méditerranée (Italie, Maghreb, Espagne).

En intégrant un jour de repositionnement maritime dans nos calculs (avec les autres paramètres inchangés), l’exploitation du FM3 ne présente aucun intérêt depuis Lyon et Chalon. Le fluvio-maritime lorsqu’il n’est pas plus coûteux, est quasiment aussi onéreux que la chaîne « fluvial + maritime ». Transport en sous capacité et niveau de pénétration continentale ont raison de la pertinence de ce navire.

Le FM3 reste en revanche concurrentiel au départ d’Arles avec cependant un tonnage plancher de pertinence : 1.400 tonnes (cf. carte 10).

Carte 10 : Zone de pertinence du navire FM3 au départ d’Arles avec un jour de repositionnement maritime.
Carte 10 : Zone de pertinence du navire FM3 au départ d’Arles avec un jour de repositionnement maritime.

Source : Lopez C.

À partir de 2.000 tonnes l’aire de navigation sort des limites géographiques du bassin méditerranéen (zone hachurée horizontalement). L’exploitation d’une unité fluviale de catégorie supérieure explique « le bond en avant » de la zone de pertinence. A pleine capacité, le FM3 a la possibilité de couvrir une distance maritime de près de 5.000 kilomètres, tout en dégageant une économie de 15%.

Le bassin méditerranéen est un débouché naturel pour l’exploitation du fluvio-maritime au départ de Rhône-Saône. L’examen des différentes aires de navigation nous renseigne sur sa zone de « chalandise ». D’après la comparaison des coûts que nous venons de réaliser le fluvio-maritime peut être exploité de manière concurrentielle en Méditerranée Occidentale (triangle Espagne – Italie – Maghreb) et dans une moindre mesure jusqu’en Grèce et Turquie. La réalité des trafics fluvio-maritimes au départ du bassin Rhône-Saône valide nos résultats (cf. graphique 17).

Graphique 17 : Répartition des trafics fluvio-maritimes de Rhône-Saône selon leur origine/destination (2005).
Graphique 17 : Répartition des trafics fluvio-maritimes de Rhône-Saône selon leur origine/destination (2005).

Source : VNF, Lopez C.

En 2005, les trafics fluvio-maritimes ont atteint près de 855.000 tonnes. L’Italie est le pays le plus présent dans les échanges fluvio-maritimes, avec plus de 440.000 tonnes. Ce pays concentre un peu moins de 55% du trafic (dont près de 270.000 tonnes de produits agricoles, essentiellement des céréales). Le Maghreb est également bien représenté avec un tiers du volume, soit environ 255.000 tonnes. Certains trafics ont pour origine l’Europe du Nord (Allemagne, Danemark, Lettonie, Russie), il s’agit essentiellement de combustibles ; un trafic de tourbe alimentant une usine d’engrais implantée à Arles. L’aire d’action du fluvio-maritime reste principalement le bassin Méditerranéen, le volume des échanges avec les pays du pourtour méditerranéen atteint 810.000 tonnes soit 95% des flux de l’année 2005. La Méditerranée Occidentale (Italie, Espagne et Maghreb) couvre plus de 85% des volumes soit plus de 735.000 tonnes. Le fluvio-maritime offre principalement des solutions logistiques « rhodano-méditerranéennes » pour de faibles tonnages en comparaison avec les trafics purement maritimes. En effet, le tonnage moyen des navires fluvio-maritimes fréquentant le bassin Rhône-Saône est de 1.500 tonnes.

Le principe du fluvio-maritime est celui d’un acheminement massifié rapprochant la marchandise le plus près possible de sa destination finale et/ou allant la chercher le plus près possible de son origine. Il peut s’agir d’un service de porte à porte, lorsqu’il connecte un appontement fluvial privé à un autre quai privé qu’il soit maritime ou fluvial.

L’analyse théorique du fluvio-maritime nous a permis de caractériser ce mode de transport encore méconnu en France : seuil de basculement, taille des lots. La cartographie de sa zone de pertinence démontre qu’il peut participer au développement du transport maritime à courte distance (TCMD) que l’Union Européenne compte soutenir face à la congestion routière.

Pour la Commission Européenne le cabotage maritime regroupe :

‘« Tous les services de transport maritime, réguliers ou au voyage, effectués entre des ports européens ou avec des pays ayant une façade sur une mer limitrophe fermée, quelle que soit leur nature : vracs secs, liquides, marchandises conventionnelles, roulantes, conteneurisées voire même les passagers »’

Le principal atout du fluvio-maritime est de pouvoir desservir les principales zones industrielles européennes, cf. carte 11.

Carte 11 : Les dessertes fluvio-maritimes européennes.
Carte 11 : Les dessertes fluvio-maritimes européennes.

source : Inland Navigation Europe.

En limitant le nombre de rupture de charge, le fluvio-maritime peut relier le bassin Rhône-Saône à l’ensemble du bassin méditerranéen. Dans une perspective de contournement des massifs montagneux (Alpes et Pyrénées), il peut connecter les Régions Rhône-Alpes et Bourgogne à l’arc méditerranéen. L’incendie du Fréjus au cours de l’été 2005 a relancé la problématique des traversées alpines. De nombreuses associations se sont montrées sensibles et vigilantes quant à des reports de trafic sur le tunnel du Mont-Blanc. Avec 1,5 million de poids lourds en 2004 (plus de 24 millions de tonnes), le Fréjus et le Mont-Blanc font partie des principaux itinéraires transalpins. L’opinion publique et les élus locaux de plus en plus sensibles aux problématiques environnementales souhaitent la mise en place de solutions alternatives. D’après ces associations, la situation est également préoccupante dans les Pyrénées. Malgré 27 points de passages frontaliers, 90% du trafic de marchandises entre la France et l'Espagne est concentré aux deux extrémités du massif : Hendaye, sur la façade atlantique et Le Perthus, côté Méditerranée. De 1995 à 2003, ces deux passages ont vu leur trafic poids lourds passer de 10.063 à 16.326 véhicules par jour. Bien que plus lent comparativement à la route, le fluvio-maritime pourrait constituer une alternative intéressante pour certains flux de marchandise.

Le maritime implique des investissements moindres comparativement à la route ou au ferroviaire. Une passerelle routière coûte 3 millions d’euros, une grue mobile revient à 2,5 millions d’euros alors qu’un kilomètre d’autoroute peut coûter 7,5 millions d’euros. L’infrastructure portuaire est déjà en place ou nécessite quelques aménagements mineurs : matériel de manutention, goudronner et/ou clôturer des terres-pleins. Les délais de mise en œuvre sont en conséquence relativement rapides, contrairement à la construction d’une autoroute ou d’une voie ferrée. Le TMCD dispose également de facilités d’organisation. La navigation est possible 7 jours sur 7, 24 heures sur 24. Il n’est soumis à aucune contrainte concernant le temps de travail (temps de conduite des chauffeurs routiers).

Néanmoins, le cabotage maritime souffre de la double rupture de charge et de coûts de passage portuaire jugés importants. Les taxes portuaires ne sont pas uniformes sur l’ensemble du territoire européen. Les caboteurs sont souvent assimilés à des navires au long cours, et restent soumis aux même exigences. Ces coûts fixes indépendants de la distance parcourue contraignent les unités à couvrir une certaine distance avant de pouvoir les compenser. Lorsqu’il est mis en concurrence avec des acheminements routiers, la pertinence du TMCD s’accroît avec la distance. Le TMCD doit également composer avec la méconnaissance et une certaine méfiance des opérateurs terrestres. Il en est de même pour le fluvio-maritime.

Malgré l’intérêt qu’il peut présenter le fluvio-maritime est encore marginal sur l’axe Rhône-Saône. L’objet de la troisième partie sera d’identifier les leviers d’action susceptibles de contribuer à son développement.