2) Fluvio-maritimes et incidents de navigation sur Rhône-Saône.

Parce que difficilement contrôlables et pas toujours respectueux de certaines règles de navigation fluviale, le service navigation Rhône-Saône a tendance à considérer les navires fluvio-maritimes comme de « mauvais élèves » – cf. annexe 4 un exemple qui entretient la mauvaise réputation du fluvio-maritime auprès des autorités fluviales (coupure presse). Toutefois, en examinant les statistiques des accidents ou incidents répertoriés dans la circonscription de la Commission de Surveillance de Lyon entre 1999 et 2003 – cf. annexe 5 liste et détail des incidents répertoriés au cours de la période –, les fluvio-maritimes ne sont pas régulièrement mis en cause.

En l’espace de 5 ans, 45 accidents fluvio-maritimes ont été comptabilisés sur un total de 300 (fluvial + fluvio-maritime). Ceci nous donne une moyenne de 9 incidents par an. La part des accidents fluvio-maritimes est proportionnelle à leur contribution au trafic total de Rhône-Saône. Sur la période, 15% des incidents sont imputables aux fluvio-maritimes alors qu’ils représentent 14% du trafic total : 3 millions de tonnes sur un trafic total de 24 millions (fluvial + fluvio-maritime).

Une liste des accidents impliquant les unités fluvio-maritimes est reprise en annexe (annexe 5). Cette liste n’est cependant pas exhaustive. Sont uniquement recensés les faits portés à la connaissance du Service Navigation. Il est ainsi probable que le nombre d’avaries engageant des navires fluvio-maritimes sur le bassin soit plus important.

Sur le bassin, les deux principales causes d’accidents sont l’erreur de pilotage et le non-respect des règles de navigation avec approximativement trois-quarts des accidents de fluvio-maritimes. Les pannes mécaniques comptent pour 10%.

La récurrence des erreurs de pilotage inquiète le Service Navigation. En effet ces erreurs se traduisent par des échouages, des heurts dans les écluses ou à leurs abords et des collisions avec les ouvrages d’art (piles, tabliers de pont…).. Bien que sans gravité (aucune perte de vie humaine n’est à déplorer) les dégâts matériels occasionnés présentent un risque pour l’infrastructure et donc pour l’ensemble du trafic. Une interruption de la circulation fluviale peut emprisonner de nombreuses unités. Le bassin Rhône-Saône forme un cul de sac. Pour les unités à grand gabarit, il n’existe pas d’itinéraire alternatif pour gagner la Méditerranée ou le Nord de l’axe.

La forte proportion des collisions, un tiers des accidents, reflète le manque de manœuvrabilité des fluvio-maritimes. Réalisant un compromis entre un automoteur et un caboteur ; les navires fluvio-maritimes restent des navires de mer. Ils ne sont pas parfaitement adaptés à la navigation fluviale, ils sont surtout « taillés » pour la mer.

Pour une capacité de chargement de 1.500 tonnes chacun, l’automoteur est plus motorisé que le navire fluvio-maritime, plus de mille chevaux (jusqu’à 1.500) contre environ 900 (à plus de 1 000) ; un pousseur affiche en revanche une puissance motrice comprise entre 2.000 et 2.500 chevaux.

La navigation maritime ne nécessite pas des machines très puissantes, la force exercée par le courant fluvial et une vague ne sont pas de même nature et n’ont pas les mêmes effets sur les unités de transport. Équiper un fluvio-maritime de moteurs plus puissants accentuerait d’une part ses coûts d’exploitation (coûts d’achat et de soutes supplémentaires) et limiterait d’autre part sa capacité de chargement (la salle des machines occupant une place plus importante). La rentabilité économique du navire s’en trouverait alors menacée. La navigation fluviale requiert une machinerie puissante, afin de remonter le courant. Le Rhône est particulièrement connu pour être un fleuve capricieux et relativement difficile à naviguer.

Le rapport entre poids total en charge en déplacement et le nombre de chevaux apparaît comme un indicateur pertinent de manœuvrabilité. Plus le tonnage déplacé par cheval sera faible, plus l’unité de transport sera facile à manœuvrer. Ce rapport s’établit aux alentours de 1,25 tonne par cheval pour notre automoteur de référence contre quasiment 2 tonnes par cheval pour le fluvio-maritime. Ainsi, par tonne transportée un fluvio-maritime est près de deux fois moins motorisé qu’un automoteur.

Outre cette différence de motorisation, l’architecture de chacune des unités explique le manque de manœuvrabilité des fluvio-maritimes. Les automoteurs sont bien plus légers. L’automoteur doit déplacer environ 2.000 tonnes à vide, alors que notre fluvio-maritime de référence pèse aux alentours de 2.600 tonnes. Plus lourds, les fluvio-maritimes sont dotés d’une structure en acier afin de résister à la houle et au roulis auxquels les unités fluviales ne sont pas exposées.

D’autre part, un gouvernail proche de l’hélice et plus grand accroît la manœuvrabilité des unités fluviales. Cela leur permet de mieux enchaîner les méandres du fleuve. Les hélices ne sont pas identiques, plus grandes les hélices des fluvio-maritimes tournent moins vite, réduisant ainsi la consommation d’énergie. Elles ne leur permettent pas d’affronter le courant fluvial dans des conditions optimales.

Toutes ces considérations démontrent que les fluvio-maritimes sont des unités maritimes. Naviguer en mer ne nécessite pas des temps de réaction rapides, et une très grande manœuvrabilité. La mer n’est pas une infrastructure aussi contraignante que les canaux ou rivières. Elle offre des espaces de circulation quasi illimités. Les seules contraintes de navigation se trouvent à l’approche et dans les ports dont les eaux sont relativement protégées.

Autre point sensible le nombre important d’échouages, plus de 20% des accidents. Ce type d’incident peut être provoqué par une erreur de pilotage (le navire n’a pas respecté le chenal de navigation), le non-respect des gabarits fluviaux (tirant d’eau notamment) ou une mauvaise gestion de la voie d’eau (manque d’entretien du réseau, banc de sable non signalé…). Les deux premiers cas se rencontrent le plus fréquemment.

Les échouages s’expliquent principalement par le non-respect des gabarits fluviaux (tirant d’eau) en raison du problème de maximisation des profits. L’exploitation d’un navire fluvio-maritime relève de la sphère privée. L’opérateur cherche donc à maximiser son profit. Or, l’infrastructure représente une contrainte pour les fluvio-maritimes limitant leur taille et leurs capacités de chargement (cf. sections précédentes). Dans un souci de rentabilité et de compétitivité les fluvio-maritimes sont parfois chargés au-delà des caractéristiques maximales de l’infrastructure (tirant d’eau). La CNR garantit un tirant d’eau (maximum autorisé) de 3 mètres sur le Rhône (sauf pour la section en amont d’Arles 4,25 mètres – d’Arles à Port Saint Louis du Rhône, seuil de Terrin). Le tirant d’eau est en réalité supérieur. Il avoisine les 3,50 mètres. Le différentiel de 50 centimètres entre le tirant d’eau maximum autorisé et la réalité correspond au pied de pilote : marge de sécurité permettant d’éviter le phénomène de succion38 et/ou de formation d’un banc de sable ou autre. Sur le Rhône, il n’est pas rare que les unités fluviales ou fluvio-maritimes enfoncent à 3,20 mètres. En ne respectant pas les limites d’enfoncement les opérateurs ont la possibilité de charger un peu plus leur unité. Un centimètre d’enfoncement supplémentaire permet à un navire fluvio-maritime de transporter une dizaine de tonnes additionnelles. Sachant que la CNR s’impose un pied de pilote d’une cinquante de centimètres, certains opérateurs font le pari de charger un peu plus leur unité.

Un autre aspect relevant du domaine de la sécurité laissant « perplexe » le Service Navigation concerne l’assurance des navires fluvio-maritimes et les dommages causés aux tiers. Navires de mer inscrits dans le Droit maritime, ils n’obéissent pas aux même règles que les unités fluviales.

À l’inverse de la route où tout véhicule circulant est obligatoirement assuré, il n’existe pas sur le fleuve d’obligation d’assurance. Seule la marchandise est assurée, et ce dans le cadre du contrat de transport. La flotte de Rhône-Saône est dans sa grande majorité bien assurée. Le Service Navigation Rhône-Saône estime à une dizaine de pourcents le nombre d’unités non ou mal assurées. Les fluvio-maritimes sont certes assurés, cependant ils le sont à concurrence d’un plafond généralement bas en comparaison avec les dégâts occasionnés.

En juin 2001, le navire Laura a heurté la travée rive droite du pont routier de Saint Romain des Îles, mettant en péril l’ouvrage. Une erreur de pilotage semble être à l’origine du sinistre : le « pilote fluvial » étant dans l’incapacité de communiquer clairement avec les membres de l’équipage. Cet accident a causé sur le pont une interruption de toutes circulations, y compris piétonnière, pendant une année. D’après le règlement Général de Police de navigation intérieure, le responsable est en premier lieu le titulaire du certificat de navigation en l’occurrence le « pilote fluvial » dans le jargon. Or les « pilotes fluviaux » dont nous verrons les particularités dans la prochaine section, ne sont généralement pas assurés. Le montant des dommages a été évalué à environ 1,5 million d’euros, alors que le navire était assuré pour un plafond de 75.000 euros. L’affaire est en cours de jugement. En raison du défaut d’assurance du « pilote », d’un niveau d’assurance limité du navire et dans l’attente du jugement, la Collectivité a pris en charge les frais de réparation de l’ouvrage.

Notes
38.

Un espace trop faible entre la coque et le fond de la rivière (du canal) empêche l’eau de s’écouler sous la coque et colle l’unité de transport aux fonds.