B. Fluvio-maritime, contraintes d’exploitation.

Le problème d’accessibilité des voies navigables est une contrainte importante dans l’exploitation des navires fluvio-maritimes. Sur le bassin Rhône-Saône, le fluvio-maritime obéit à une logique commerciale de court terme. Les contrats de transport, hormis les contrats au tonnage, répondent à des besoins spontanés. Les armateurs positionnent leurs navires selon le fret à transporter. Il est alors délicat d’établir avec précision un calendrier de rotation des navires sur plusieurs semaines ou mois. Cette incertitude ne facilite pas la pérennisation de l’activité fluvio-maritime. Du fait d’un certain déséquilibre des flux, les navires opèrent des triangulations (le navire effectue un trajet sur ballasts – à vide – pour gagner un autre port de chargement) pouvant remettre en cause la compétitivité du fluvio-maritime.

L’absence d’adéquation entre offre et demande de transport (équilibrage des flux) oblige fréquemment les armements fluvio-maritimes à facturer le (re)positionnement41 du navire. Ce poste peut représenter environ 10 à 15% du coût total d’un voyage fluvio-maritime.

Au problème d’équilibrage des trafics s’ajoute celui de sous utilisation des capacités de chargement du navire sur le fleuve. L’exploitation d’un navire en sous capacités limite et contraint la recherche de l’équilibre financier. L’« insuffisance » de l’infrastructure (cf. sections précédentes) pénalise l’activité des plus gros navires. Le montant des coûts fixes journaliers est identique quels que soient le niveau de pénétration sur le bassin (Arles, Lyon ou Chalon) et le tonnage transporté. Les ports bourguignons souffrent en conséquence d’un certain manque de cale et d’un éloignement à la mer trop important. Le taux de remplissage des navires est insuffisant pour rentabiliser le voyage d’un navire au prix attendu par la demande.

Le manque de régularité des flux et les contraintes pesant sur les taux de remplissage incitent les armements à intégrer dans leur mode d’exploitation trois facteurs : un certain déséquilibre des flux (régularité des trafics), les contraintes physiques de l’axe (taux de remplissage) et le coût d’une éventuelle immobilisation (blocage de la voie navigable).

Le marché est ainsi écrémé. Les frets les moins rentables sont délaissés pour d’autres plus rémunérateurs (transport de colis lourds entre autres). Ce n’est qu’en dernier recours ou faute de mieux que les armateurs acceptent les voyages les moins lucratifs. Les armateurs tentent de concilier rentabilité et prise de risque minimale.

Naviguer sur le fleuve présente un risque pour les unités fluvio-maritimes : plus les navires remontent sur le bassin plus ils s’exposent à un risque d’immobilisation (panne d’écluse, arriver dans un port le week-end, crue…). Le bassin Rhône-Saône forme un cul-de-sac. Fos (bassins Ouest du Port Autonome de Marseille) constitue le seul point d’entrée et de sortie de l’axe fluvial. Si pour une raison quelconque un navire venait à être bloqué sur le fleuve, le navire serait contraint d’attendre un retour à la normale (baisse du niveau des eaux, réparation de l’écluse…).

Par ailleurs, un navire arrivant dans un port fluvial le week-end (à compter du vendredi après-midi) n’est travaillé que le lundi suivant. L’armateur perd donc une à deux journées d’exploitation.

L’exploitation d’un navire fluvio-maritime comprend une part importante de coûts fixes (coût du capital, personnel, entretien, assurance…), environ 40% du coût total. Ces coûts, repris dans les time charter, varient de 2.000 à 2.500 euros par jour selon la taille du navire. Comme toute autre activité maritime lorsque le navire est immobilisé pour un motif indépendant de sa volonté, l’armateur subit une perte au moins équivalente au time charter. Une voire deux journées d’immobilisation du navire suffisent à faire perdre à une expédition fluvio-maritime toute sa rentabilité.

Le risque d’immobilisation varie dans le temps, en période de crues ou d’étiage (basses eaux) il sera plus perceptible. Ce risque est aussi fonction du niveau de pénétration du navire sur le fleuve. Le coût d’une éventuelle immobilisation correspond aux coûts fixes journaliers augmentés de certains frais variables (consommation de carburant au port…). La perception du risque d’immobilisation est un facteur décisif dans le mode d’exploitation fluvio-maritime.

Les fluvio-maritimes sont des navires de mer, adaptés à la navigation intérieure. Les armateurs peuvent positionner indifféremment leurs navires sur les fleuves ou en mer. Sur le segment maritime, le navire ne subit aucune contrainte de gabarit et donc de capacité de chargement. La circulation du navire n’est, par ailleurs, pas soumise à celle des autres usagers. Alors qu’un accident sur la voie d’eau peut bloquer l’ensemble du trafic. En conséquence, le fret maritime proposé à l’armateur fluvio-maritime définira l’arbitrage entre une exploitation fluvio-maritime et une exploitation « purement » maritime. Lorsque le fret maritime couvre l’ensemble de ses coûts, l’armateur peut ne pas positionner son unité sur le fleuve, même si les perspectives de profits sur la voie d’eau sont plus intéressantes.

Figure 19 : Potentialité du marché fluvio-maritime.
Figure 19 : Potentialité du marché fluvio-maritime.

Entre 2002 et 2004, certains armateurs ont privilégié l’option maritime plutôt qu’une exploitation fluvio-maritime. L’année 2004 a vu un report de trafic fluvio-maritime vers le fluvial. La Saône a enregistré une nette diminution de son activité. La marchandise, en provenance du Nord du bassin, était acheminée par voie fluviale jusqu’à Arles, où elle est transbordée sur de gros navires fluvio-maritimes, parfois de petits caboteurs de 3.000 tonnes. Les niveaux élevés des frets maritimes en Méditerranée ont été à l’origine de ce report modal. Les frets maritimes ont atteint des niveaux tels que les fluvio-maritimes, pourtant plus coûteux que des embarcations maritimes classiques de taille équivalente, étaient des solutions de transport intéressantes. Les armateurs ont réduit le niveau de pénétration continentale de leur unité pour se concentrer sur une activité purement maritime.

Notes
41.

Par repositionnement nous entendons le parcours réalisé à vide afin de (re)positionner le navire dans son prochain port de chargement.