1) Le Karvor.

Le Karvor47 est un projet de navire fluvio-maritime dont les études techniques et économiques ont été réalisées par la DCN – Technicatome et Catram. Fluvio-maritime de nouvelle génération, il est optimisé pour l'emport de conteneurs maritimes ISO sur des voies navigables de classe 5a (grand gabarit européen) : au maximum 90 EVP (Équivalent Vingt Pieds) en cale et 44 EVP en pontée. Le navire peut transporter en cas de besoin des cargaisons mixtes. Il dispose de plusieurs cales séparées (cloisons amovibles) et peut traiter ainsi différents types de trafic simultanément : conteneurs, vracs solides.

Équipé d’un portique de bord et d’un cavalier straddle, il peut s’affranchir de l’outillage portuaire. Le bord peut réaliser lui-même les opérations de manutention. Le portique de bord est capable de charger et de décharger des conteneurs. Quant au chariot, il assure le déplacement (stockage, pose, reprise) des conteneurs sur le terre-plein.

Le Karvor se veut un outil de transport souple et flexible : transport de marchandises de nature différente (vracs solides, conteneurs), desserte de quais dépourvus de moyens de manutention. Ses caractéristiques techniques sont proches de celles d’un fluvio-maritime classique (cf. tableau ci-dessous) :

Tableau 20 : Caractéristiques techniques du Karvor.
Tableau 20 : Caractéristiques techniques du Karvor.

Le Karvor est ici comparé à un navire fluvio-maritime de taille équivalente, le Kirsten.

Il est le seul porte-conteneurs à vocation fluvio-maritime. Ceci lui offre la possibilité d’approcher la marchandise au plus près de son de lieu de consommation et / ou de production. Il souffre cependant d’un tirant d’air élevé. Sur le segment fluvial, et Rhône-Saône plus particulièrement, charger les conteneurs en pontée n’est pas envisageable. Cette contrainte affecte tous les fluvio-maritimes se positionnant sur le marché du conteneur. Il est donc nécessaire d’inclure dans l’expédition fluvio-maritime une escale maritime pour effectuer un complément de chargement (trafic à l’export) ou un déchargement partiel de conteneurs (trafic à l’import). Cette escale supplémentaire réduit fortement l’attrait du Karvor. L’opération de chargement / déchargement porte sur un petit nombre de mouvements : 44 EVP. Les manutentionnaires et les ports préfèrent traiter de gros navires (droits de port plus élevés…) plutôt que de petites unités. En cas de saturation des postes à quai, l’arbitrage serait en défaveur du Karvor, priorité étant accordée aux navires les plus gros. En raison du faible niveau d’activité qu’il propose, le Karvor pourrait ne pas être correctement travaillé en cas d’escale partielle.

Le fluvio-maritime supprime le coût de rupture de charge lorsque la marchandise passe d’un environnement fluvial à un environnement maritime ou inversement. L’escale partielle du Karvor réduit son niveau de compétitivité. Le Karvor est alors confronté à la concurrence directe des unités maritimes et fluviales. Sur le segment maritime, les navires bénéficient d’importantes économies d’échelle (cf. sections précédentes). Une unité fluviale de taille équivalente a une capacité de transport supérieure : environ 130 EVP (pour une barge de 80 mètres de long – un convoi poussé est généralement formé de 2 barges soit 260 EVP de capacité) contre 90 EVP pour le Karvor ; et ce, pour un coût de construction et donc un coût d’exploitation nettement inférieur. Le coût d’affrètement du Karvor dans sa version gréée est estimé à 4.400 €/jour ; en version non gréée ce coût est ramené à 3.800 € / jour. Un convoi poussé est affrété pour 2.200 € par jour environ. Il faut compter 5.300 € par jour pour un feeder d’une capacité de 550 EVP. Comme l’illustre le tableau suivant, le Karvor peut difficilement se positionner sur le marché du conteneur.

Tableau 21 : Karvor, convoi poussé et navire
Tableau 21 : Karvor, convoi poussé et navire feeder éléments de comparaison.

Le cabinet d’études, Catram, fait également état de difficultés pour positionner le Karvor sur les marchés Nord-italiens (Turin, Milan) et Nord-espagnols (Barcelone) avec lesquels la Région Rhône-Alpes réalise beaucoup d’échanges : « Il est évident qu'un service fluvio-maritime touchant des ports de l'axe Rhône-Saône ne peut en aucun cas capter des flux régionaux ayant pour origine ou destination le Nord de l'Italie : la droiture routière est rapide (de l'ordre de la demi-journée) et peu chère (450 – 500 €), alors que le service fluvio-maritime serait lent […] et supportera des coûts de pré / post-acheminements très élevés. La région de Barcelone […] un service fluvio-maritime y serait soumis à une concurrence routière très sévère, avec une distance insuffisante pour amortir les coûts de pré et de post-acheminements ». Le Karvor pourrait desservir des destinations plus lointaines : Portugal, Maghreb ou encore la Grèce. Il serait dès lors mis en concurrence avec des options fluviales et maritimes dont nous avons évoqué la plus grande compétitivité. Reste dès lors le marché des vracs solides.

Pour le transport de céréales et autres vracs solides le Karvor serait en concurrence avec des unités fluvio-maritimes « pures » déjà présentes sur le bassin Rhône-Saône. Un fluvio-maritime de taille équivalente (2.500 tonnes de port en lourd) propose un time charter à 2.500 € par jour (ce coût comprend le coût en capital, la maintenance et les frais d’équipage) bien en deçà des 3.800 € journaliers du Karvor.

Sur le bassin Rhône-Saône, le Karvor est handicapé par des coûts de construction et de financement élevés : navire sous pavillon français. Des règles de gestion plus souples peuvent accroître son niveau de compétitivité : armement sous pavillon de libre immatriculation ou un pavillon européen dit « faible ». Il est cependant mal adapté aux conditions nautiques du bassin Rhône-Saône dont le tirant d’air et le tirant d’eau sont relativement faibles. Il pourrait s’avérer plus pertinent sur d’autres voies navigables dont les contraintes de navigation sont moins fortes.

Notes
47.

Étude de faisabilité de nouvelles lignes fluvio-maritimes Karvor entre l’axe Rhône-Saône et l’Espagne ou l’Italie ; CATRAM consultants (2002)