2.2. Principes et contraintes d’utilisation

2.2.1. Théories et universaux de syllabification

Pour Goldsmith (1990), la syllabification est un processus consistant à associer une chaîne linéaire de phonèmes pour obtenir une structure syllabique. La syllabification (aussi appelée syllabation) est le procédé qui va notamment permettre de segmenter un mot en syllabes, quelle que soit la configuration du cluster intervocalique à la frontière syllabique. Toutefois, la syllabification va être dépendante d’un ensemble de caractéristiques inhérentes à la langue et aux phonèmes de la langue (e.g., échelle de sonorité, règles phonotactiques…).

Pour Clements (1990), le locuteur tend à une syllabification préférentielle en séquence CV (i.e., core syllable) sur la base du Sonority Sequencing Principle (i.e., Principe du Cycle de Sonorité), c’est-à-dire sur la base du profil de sonorité idéal qui stipule une sonorité maximalement croissante en début de syllabe et minimalement décroissante en fin. À partir de cette configuration naturelle et peu contraignante, le locuteur va allouer ou non des consonnes pré- et postvocaliques en fonction du degré de similitude pouvant être obtenu avec la structure basique CV (qui représente, en français, approximativement 55% des structures syllabiques inventoriées ; Wioland, 1985). Une syllabe sera donc complexe à partir du moment où elle diffèrera du prototype CV, conformément à l’échelle de complexité syllabique classiquement admise (i.e., CV, V, CCV, CVC, VC… ; Kaye & Lowenstamm, 1984 ; Clements, 1990).

C’est dans un même contexte de génération de syllabe ouverte CV que des auteurs comme Hooper (1972) vont proposer des principes universels tels que le Principe d’Attaque Obligatoire (i.e., Obligatory Onset Principle) alors que d’autres (Pulgram, 1970 ; Selkirk, 1982 ; pour une revue, Spencer, 1996) vont défendre le Principe d’Attaque Maximale (i.e., Maximum Onset Principle) pour effectuer un traitement efficace des groupements intervocaliques. Contrairement au profil de sonorité, le Principe d’Attaque Obligatoire et le Principe d’Attaque Maximale peuvent s’appliquer indépendamment des caractéristiques acoustico-phonétiques des phonèmes. En français, la localisation des frontières syllabiques s’effectue sur la base du Principe d’Attaque Maximale (Spencer, 1996). Mais le Principe d’Attaque Obligatoire et le Principe d’Attaque Maximale ne sont pas diamétralement opposés, bien au contraire, le second fournit un complément d’informations plus contraignant que le premier sur le découpage et sur la localisation de la frontière syllabique. En effet, le Principe d’Attaque Obligatoire proposé par Hooper (1972) régit la syllabification de telle sorte que dans une séquence CVCVC, le découpage s’effectuera ainsi CV.CVC, car, conformément à la règle prônée par ce principe, toute syllabe se doit d’avoir une attaque (en d’autres termes, le principe général veut que la formation de l’attaque prévale sur la constitution de la coda).

Cependant, la distinction apportée par le Principe d’Attaque Maximale repose sur le nombre maximal de consonnes à placer en position d’attaque. En effet, en se fondant sur le Principe d’Attaque Obligatoire, la segmentation d’un groupement de consonnes intervocaliques dans une séquence CVCCV s’effectuerait en CVC.CV. Mais ce principe ne statue pas de manière claire sur l’affiliation de la seconde consonne en tant que coda de la première syllabe (i.e., CVC.CV) ou en tant qu’attaque complexe de la seconde syllabe (i.e., CV.CCVC) puisqu’en français, au moins, les deux découpages syllabiques existent. Alors que le Principe d’Attaque Obligatoire montre ses limites dans l’attribution des consonnes en position de coda ou d’attaque syllabique, le Principe d’Attaque Maximale établit une règle fournissant des informations supplémentaires corrigeant cette insuffisance, à savoir, insérer un nombre maximal de consonnes en position d’attaque.

Par exemple, pour une structure dont le cluster intervocalique comporterait un grand nombre de consonnes (e.g., CVC0C1C2V), le Principe d’Attaque Maximale contraint que le maximum de ces consonnes soit positionné en attaque syllabique (i.e., CV.C0C1C2V). Toutefois, cette méthode ne s’avère efficace que tant qu’elle ne transgresse pas les contraintes phonotactiques du français. En effet, si une suite de phonèmes constitue un groupement consonantique illégal, alors la séquence sera découpée conformément aux règles phonotactiques de la langue donnée. Cela amène à considérer que pour la situation CVC0C1C2V, si l’une des associations C0C1C2 est phonotactiquement illégale (e.g., C1C2) alors la segmentation s’effectuera en CVC0C1.C2V. Contrairement au Principe d’Attaque Obligatoire, assez limité, le Principe d’Attaque Maximale est une technique beaucoup plus méthodique et contraignante de découpage syllabique.

Selon certaines théories comme la Théorie de l’Optimalité (i.e., Optimality Theory, Tesar, 1995 ; Durand & Laks, 2002),ces principes seraient universels, mais hiérarchisés. Ce n’est que leur ordre de priorité qui varierait. Cela signifierait qu’ils pourraient être transgressés uniquement pour satisfaire un ensemble de contraintes ordonnées (incluant les contraintes phonotactiques) en fonction de critères propres à chaque langue afin de fournir des structures syllabiques idéales, utiles pour l’acquisition de certaines langues (e.g., Levelt, Schiller & Levelt, 2000).