2.2.2. Règles phonotactiques et stratégies de (re-) syllabification

Il est clair que toutes les structures syllabiques ne sont pas prédictibles, que ce soit à partir du Principe d’Attaque Obligatoire ou du Principe d’Attaque Maximale. Le processus de syllabification ne peut donc pas se contenter exclusivement de ces principes. Il faut nécessairement qu’un certain nombre de critères supplémentaires soit intégré lors de la syllabification afin que celle-ci satisfasse aux conditions idéales de formation des mots d’une langue spécifique. Ces critères linguistiques correspondent à des principes généraux qui instaurent des régularités systématiques et des restrictions phonotactiques propres à la langue. Ces caractéristiques vont ainsi permettre d’ajuster l’utilisation des principes universels (e.g., Blevins, 2004 ; Meynadier, 2001, pour plus de détails).

On parle de restrictions phonotactiques ou encore de contraintes phonotactiques qui sont des règles auxquelles on fait appel lorsque l’on évoque des configurations de segments phonémiques ne pouvant pas apparaître dans une position spécifique parce qu’elles ne répondent plus aux exigences combinatoires et articulatoires de la langue. Ainsi en français, le segment xt dans le mot mixture est phonotactiquement illicite. En effet, dans le cas présent, à partir du moment où cette séquence ne pourrait pas apparaître en début de mot, alors celle-ci serait considérée comme illégale (Hooper, 1972). En d’autres termes, la légalité phonotactique est une règle qui considère une suite de phonèmes comme légale dans la mesure où cette séquence est attestée en début de mot (McQueen, 1998). De ce fait, dans le mot balcon, si le cluster consonantique lc est bel et bien illégal en initiale de mot, alors la syllabification et, in extenso la détermination de la frontière syllabique, vont s’appliquer entre les deux consonnes bal.con (pour plus de détails, Dell, 1995). Par ailleurs, dans les traitements cognitifs, il a été mis en évidence que des connaissances sur les règles phonotactiques et sur les règles probabilistiques (i.e., en termes de fréquence positionnelle) des séquences consonantiques en attaque (i.e., onset) ou coda (i.e., offset) permettent d’accepter ou de rejeter plus efficacement des segments illégaux à ces positions (Brent & Cartwright, 1996 ; Goldrick, 2004 ; Vitevitch & Luce, 2005 ) voire de les transformer en séquences légalement acceptables (i.e., phénomène d’assimilation à des séquences phonologiquement proches et acceptables ; Hallé, Chéreau & Segui, 2000 ; Hallé, Segui, Frauenfelder & Meunier, 1998 ; Segui, Frauenfelder & Hallé, 2001).

Alors que la syllabification consiste à segmenterun mot, la resyllabification (aussi appelée resyllabation) va être le processus par lequel on va recréer un enchaînement syllabique cohérent. La resyllabification ne sera possible qu’en respectant un certain nombre de principes et de contraintes à savoir, notamment, le Principe d’Attaque Maximale en étroite liaison avec l’ensemble des contraintes phonotactiques. Au-delà de la réapplication des principes universaux ou des règles phonotactiques, le processus de resyllabification serait aussi influencé par des indices suprasegmentaux, à savoir l’accentuation (Kahn, 1980).

Un exemple possible de resyllabification concerne les situations de suppression de consonnes intervocaliques, provoquées dans des paradigmes expérimentaux ou involontaires telles qu’en prononciation ou en lecture1.

Selon Encrevé (1988), l’omission ou la délétion de la coda préservera la syllabification naturelle (e.g., ba.con) tandis que la suppression de l’attaque nécessitera un processus de resyllabification (e.g., ba.lon). Dans ce cas-là, la resyllabification sera considérée comme la compensation d’une structure syllabique par la recréation d’une frontière cohérente et conforme aux contraintes de la langue pour des consonnes dont le statut se voit modifié.

Notes
1.

La resyllabification concerne également les situations de liaison qui créent des « ambiguïtés transitoires dans la chaîne parlée » (Spinelli & Ferrand, 2005, p.49) pour l’assignation du phonème latent comme segment supplémentaire à l’initiale d’un mot commençant par une voyelle. La resyllabification serait possible (e.g., Gaskell, Spinelli & Meunier, 2002 ; Spinelli, McQueen & Cutler, 2002 ; 2003) grâce à des indices infracatégoriels d’ordre acoustique dans la réalisation des phonèmes de liaison.