6. Synthèse du Chapitre 2

Dans ce chapitre, nous nous sommes intéressés aux données empiriques ayant testé le rôle de la syllabe chez l’adulte. Nous avons présenté des travaux issus de plusieurs langues, en insistant spécifiquement sur le cas du français, dans différentes modalités de traitement du langage (i.e., perception auditive, production orale, traitement visuel). Nous avons par ailleurs défini et explicité des notions importantes dans les traitements de l’écrit comme la fréquence syllabique, le voisinage orthographique et syllabique… Notre revue de la littérature nous a permis de dresser un constat qui vient renforcer celui tiré à l’issue du Chapitre 1 : la syllabe est une unité de première importance, mais son recours est largement tributaire des caractéristiques de la langue étudiée.

Nous observons ainsi que la syllabe n’est pas systématiquement une unité contactée pour une langue donnée. Les cas de l’anglais et du néerlandais sont d’ailleurs très représentatifs de ces controverses. Aucun résultat harmonieux n’est retrouvé d’une étude à l’autre, d’une modalité à l’autre. Comme cela avait été suggéré dans le Chapitre 1, les caractéristiques rythmiques, orthographiques et phonologiques sont au premier plan lors de l’implication de la syllabe. Il ressort d’ailleurs que ce sont des langues romanes telles que l’espagnol (e.g., Carreiras & Perea, 2002 ; 2004) et le français (e.g., Content et al., 2001a ; Mathey & Zagar, 2006) qui ont suscitées le plus de travaux sur la syllabe et qui ont recueillies le plus d’arguments en faveur d’un traitement syllabique préférentiel.

Nous avons cependant mis en évidence des difficultés, au sein d’une même langue, pour prouver de manière récurrente l’implication inévitable de la syllabe. En effet, en français, les arguments de Mehler et al. (1981) ont rapidement été contrariés par les travaux de Content et al. (2001b). De même, les travaux de Ferrand et al. (1996) n’ont révélé une implication de la syllabe que dans l’une des tâches (i.e., production), mais pas dans l’autre (i.e., décision lexicale), indiquant que la syllabe serait une unité nécessaire lorsqu’un output phonologique est sollicité.

Enfin, nous avons présenté différentes théories de segmentation qui considèrent essentiellement les aspects rythmiques, ce qui sert à justifier des différences de traitements mis en œuvre par les locuteurs d’une langue donnée. D’ailleurs, la syllabe n’apparaît pas forcément comme l’unité de segmentation dans ces théories ou lorsque celle-ci l’est, la syllabe est contrainte par la position de l’accent (e.g., Cutler & Norris, 1988) ou par la complexité phonotactique à la frontière syllabique (e.g., McQueen, 1998). Toutefois, concernant l’écrit, les données semblent encore plus complexes à interpréter, notamment avec l’introduction des notions de voisinage. Si les résultats sont souvent présentés comme contradictoires dans les effets observés (i.e., inhibiteur ou facilitateur), ils ne rejettent pas le rôle de la fréquence et du voisinage syllabique, notamment en espagnol et en français. Mais son activation à l’écrit est ambiguë et il ressort de plus en plus que la syllabe, d’un point de vue phonologique, ne fonctionnerait pas de manière isolée, mais serait contrainte par les propriétés orthographiques (e.g., Mathey et al., 2006).

Notre présentation résume parfaitement la situation pour ce qui est de l’universalité de la syllabe : à ce jour, celle-ci ne peut pas être considérée comme une unité universelle de traitement. Il est préférable de considérer la syllabe comme une unité privilégiée dans des langues qui disposent d’un système favorisant leur émergence (e.g., français). Il s’avère donc nécessaire d’explorer plus en avant d’autres caractéristiques du français : ses aspects orthographiques et phonologiques qui semblent agir directement sur la maîtrise et le recours à la syllabe chez le lecteur expert et débutant.