3.2. Modèle « à double fondation » (Seymour, 1990 ; 1997)

L’architecture du modèle à « double fondation » de Seymour (1990 ; 1997) propose une perspective développementale conçue sur la base de cinq composants qualifiés de modules ou processeurs (Figure 11), à savoir : logographique, alphabétique, orthographique, morphographique et une conscience linguistique. Ce modèle est censé pouvoir rendre compte du parcours développemental avec plus de précision et de flexibilité que les modèles « à étapes ». Pour cela, il tente de défendre la coexistence (et le co-développement) des procédures logographiques et alphabétiques qui interagissent ; et une progression de la conscience phonologique allant des unités réduites (e.g., phonème) aux unités larges (e.g., attaque-rime ou syllabe). Le postulat de base, nommé « fondation duale », provient d’une contribution conjointe majeure des processeurs logographique et alphabétique pour l’élaboration et la spécification des représentations orthographiques en mémoire.

Figure 11. Architecture du modèle à Double Fondation, adapté de Seymour (1997).

Le processeur logographique fait référence à la reconnaissance directe, partielle (i.e., lettres ou groupes de lettres) ou complète, des mots et à leur stockage. À l’inverse des conceptions de Frith (1985 ; 1986), ce processeur ne fonctionnerait pas sur des indices purement visuels et contextuels, mais sur des processus visuo-orthographiques combinés à des indices phonologiques.

Le processeur alphabétique consiste en la mise en correspondance des lettres avec les phonèmes équivalents : il s’agit donc de l’apprentissage des règles CGP, à la base de la fondation du processeur orthographique. De même, les relations interactives entretenues avec la conscience linguistique renvoient au développement de la conscience phonémique, possible uniquement avec la maîtrise du principe alphabétique.

La conscience linguistique est conçue telle une structure dans laquelle des segments orthographiques sont mis en correspondance avec des segments phonologiques. Cependant, il faut distinguer deux types de conscience linguistique qui s’appuient sur la hiérarchie structurale de la syllabe (Figure 12) : une conscience linguistique implicite et naturelle (assimilable aux traitements épilinguistiques) qui repose sur une segmentation progressant des unités larges vers des unités réduites ; et un niveau de conscience linguistique explicite (assimilable aux traitements métalinguistiques) qui résulte de l’enseignement de la lecture et des règles CGP, se développant des unités réduites vers des unités larges. Enfin, une dernière forme de conscience linguistique plus tardive incorpore une conscience morphologique entretenant des relations avec le processeur morphographique, requis pour orthographier les mots complexes, affixés et plurisyllabiques, mais dépendant du processeur orthographique.

Figure 12. Développement de la conscience linguistique, adapté de Seymour (1997).

Le processeur orthographique représente la structure centrale de ce modèle. Cette structure s’élabore et se développe au cours du temps via trois stades : les stades central, intermédiaire et avancé (ces deux derniers stades contribuant à la capacité de traiter des structures orthographiques plus complexes). De ces trois étapes, la plus importante apparaît être le stade central. La structure orthographique émergerait des connaissances sur les relations entre segments écrits et segments oraux (i.e., les CGP) établies par la formation du processeur alphabétique. Ce stade serait notamment chargé de réorganiser les correspondances entre les graphèmes et les phonèmes en s’appuyant sur une décomposition hiérarchisée de la syllabe. Plus spécifiquement, la réorganisation s’effectuerait sur la base de la représentation phonologique tridimensionnelle de la syllabe (i.e., attaque-noyau vocalique-coda) ainsi que sur la mise en parallèle avec la représentation orthographique spécifique (i.e., les graphèmes). L’une des particularités du processeur orthographique serait de pouvoir généraliser ces processus afin d’aboutir à la lecture experte en s’affranchissant de l’obligation de recourir aux CGP.

L’intérêt premier du modèle à « double fondation » de Seymour (1990 ; 1997) est de défendre l’existence de processus parallèles, interactifs qui peuvent se développer autrement que de manière séquentielle et stricte. L’avantage est d’offrir une conception plus précise et plus souple de l’apprentissage de la lecture, moins rigide que les modèles à « étapes ». Dans le modèle à « double fondation », c’est le processeur orthographique qui occupe la place centrale dans la mesure où il est chargé d’établir les connexions écrit-oral et parce que son apparition n’est rendue possible que par la fondation des processeurs logographiques et alphabétiques et des contributions interactives avec la conscience linguistique. Enfin, l’autre intérêt de ce modèle est d’avoir tenté de préciser la trajectoire développementale dans le recours aux unités de traitement, allant des unités réduites (e.g., les phonèmes) à des unités larges (e.g., les graphèmes).