3.3.2. Modèle de la « machine à lire » (Gombert, 1995) et son extension (Gombert et al., 1997) et les connaissances implicites/explicites (Gombert, 2003)

Dans le cadre de l’utilisation des analogies en lecture, Gombert (1995) et ultérieurement Gombert al. (1997) ont proposé de rendre compte de l’acquisition de la lecture en s’appuyant sur un système de traitement des informations renvoyant à une « machine à lire ». Il s’agit d’un système composé de quatre processeurs : orthographique, phonologique, sémantique et contextuel. Également inspiré du modèle à « étapes » de Frith (1985 ; 1986), ce modèle envisage un traitement conjoint des informations lexicales par les processeurs logographique, phonologique et sémantique et qui vont permettre l’élaboration du processeur orthographique.

Avant l’apprentissage de la lecture, l’enfant ne dispose pas de processeur orthographique, mais est capable d’effectuer des traitements basés sur des configurations visuelles ; il s’agit d’un mécanisme de reconnaissance strictement pictural (ou logographique). Grâce aux confrontations entre le système pictural (ou logographique) et le système phonologique, médiatisées de manière sine qua non par le système sémantique, le système cognitif de l’enfant va être prêt à recourir aux analogies. Gombert al. (1997) présentent ainsi les conditions et caractéristiques favorables à l’apparition des analogies. En effet, les comparaisons systématiques entre des formes écrites (i.e., processeur pictural) et orales (i.e., processeur phonologique) vont donner lieu à la constitution de bases de connaissances implicites et spécifiques grâce à l’exposition répétée à certaines configurations fréquentes. Ces expositions vont permettre à l’enfant de mettre en place des régularités orthographiques et des régularités phonologiques, notamment une sensibilité à l’unité « rime ».

Récemment, Gombert (2003) s’est intéressé au statut des régularités prises en compte de manière implicite par l’enfant. Il a développé un cadre explicatif et interprétatif présentant les interactions entre connaissances implicites et explicites dans l’apprentissage de la lecture. L’objectif de l’apprentissage de la lecture est que celle-ci devienne une activité « experte ». À ce titre, elle repose sur deux processus : l’automatisation et les apprentissages implicites. D’une part, la lecture, initialement gérée attentionnellement, va s’automatiser par la répétition de l’activité qui, progressivement, permet le désengagement de l’attention et l’accélération du traitement (Anderson, 1983). L’apprentissage implicite fait référence au processus par lequel les comportements vont s’adapter aux caractéristiques structurales des situations rencontrées, sans que l’enfant puisse utiliser intentionnellement des connaissances explicites de ces caractéristiques pour compléter ou corriger le produit des traitements. En d’autres termes, ce qui est automatique dans le traitement, c’est la manifestation comportementale du niveau actuel des connaissances implicites ayant évolué au contact des mots écrits.Effectivement, les apprentissages implicites ne fonctionneraient pas sur le principe de règles, mais de cooccurrences, c’est-à-dire sur la base des situations (ou des configurations) les plus fréquemment rencontrées, ce qui expliquerait certaines erreurs de régularisations orthographiques ou phonologiques. L’application de règles demanderait un contrôle stratégique et volontaire. Ainsi, les automatismes nés d’apprentissages implicites et, parfois erronés, ne pourraient être « corrigés » que par l’apprentissage explicite des règles (e.g., les règles CGP) pour lire et prononcer des pseudomots, des mots rares ou irréguliers.

Pourtant, Gombert (2003) remarque que les modèles développementaux n’accordent aucune considération aux apprentissages implicites. Ces derniers n’envisagent le passage d’un stade à l’autre que sous l’effet direct d’apprentissages explicites. Or, en français, certains travaux (e.g., Bonin, Pacton et Fayol, 2001 ; Pacton, Perruchet, Fayol & Cleeremans, 2001) témoignent d’une intervention des connaissances implicites dans le développement des connaissances orthographiques avant même l’enseignement de la lecture et des règles CGP (Gombert & Colé, 2000). De manière identique, les travaux de Colé, Marec-Breton, Royer et Gombert (2005) ou de Colé, Royer, Leuwers et Casalis (2004) ont renforcé l’idée selon laquelle les apprentissages implicites ne concerneraient pas uniquement les régularités phonologiques ou orthographiques, mais aussi la prise en compte de régularités morphologiques, considérées jusque-là comme dépendantes d’un niveau « supérieur » de connaissances orthographiques.

L’attrait de ce modèle repose sur l’importance considérable accordée aux apprentissages et connaissances implicites qui serviraient de « socle » aux traitements alphabétiques et orthographiques. D’autre part, ce modèle évoque clairement les relations entretenues entre les connaissances implicites et explicites et le rôle des analogies portant sur les rimes. Toutefois, compte tenu des caractéristiques structurales de l’anglais, il est possible d’entrevoir une prévalence de la rime principalement pour cette langue, car elle représente une unité facilement repérable à l’oral. Ainsi, proposer qu’en français, la syllabe soit une unité fonctionnelle plus « pertinente » que la rime, même au niveau des analogies semble plausible.