3.4. Modèle « à activation interactive bimodale » (Colé et al., 1999) et son extension (Colé et al., 2004)

Colé et al. (1999 ; 2004) ont proposé un Modèle à Activation Interactive Bimodale (i.e., Bimodal Interactive Activation Model) (Figure 13) des niveaux orthographiques et phonologiques durant l’apprentissage de la lecture. Dérivé du modèle MROMp (Jacobs et al., 1998 ; cf. Chapitre 3, Partie 3.2.), leur modèle tente de spécifier les liens existants entre les niveaux orthographiques et phonologiques et la nature des unités infralexicales utilisées par l’enfant. Ils s’appuient notamment sur le cadre théorique de Seymour (1997) défendant le point de vue selon lequel l’apprentissage de la lecture évoluerait des petites unités aux grandes unités.

La modélisation de Colé et al. (1999) est composé, initialement, de quatre modules : au niveau de l’écrit, les représentations (ou lexique) orthographiques et les représentations « lettres » ; au niveau de l’oral, les représentations (ou lexique) phonologiques et les représentations « syllabes ». Les représentations « lettres » renvoient à l’élaboration de connaissances sur les lettres qui permettrait à l’enfant de construire des représentations orthographiques globales des mots spécifiant l’identité et la position des lettres pour la reconnaissance visuelle de mots. Les représentations « syllabes » concernent la construction d’une sensibilité aux syllabes, pertinente en reconnaissance auditive de mots, et donc à leur spécification en tant que représentations phonologiques globales. Enfin, le lien entre les représentations orthographiques et phonologiques serait la résultante de l’expertise en lecture.

Figure 13. Architecture du modèle à Activation Interactive Bimodale, adapté de Colé et al. (1999 ; 2004).

Cependant, avant d’accéder à un matching (i.e., appariement) direct entre la forme orthographique et la forme phonologique, l’enfant doit établir des connexions entre les représentations « lettres » et les représentations « syllabes » pour lire. Grâce à l’enseignement explicite des règles CGP, une interface intermédiaire entretenant des interactions bidirectionnelles va se développer, d’une part au niveau orthographique (i.e., le module « graphèmes ») et d’autre part, au niveau phonologique (i.e., le module « phonèmes »). L’hypothèse principale avancée par Colé et al. (1999) étant que la syllabe orale, en français, pourrait représenter les unités écrites, c’est l’établissement du niveau intermédiaire correspondant aux règles CGP qui médiatiserait le développement des relations entre les représentations « lettres » et les représentations « syllabes ». En effet, la maîtrise des règles CGP offrirait à l’enfant la possibilité d’associer des unités phonologiques plus larges que les phonèmes avec des unités orthographiques plus larges que les graphèmes pour des raisons fonctionnelles et cognitives, en ce sens qu’il est moins coûteux de segmenter et d’associer des unités syllabiques que des unités phonémiques (e.g., /mar/+/di/ vs. /m/+/a/+/r/+/d/+/i/ ; Bastien-Toniazzo, Magnan & Bouchafa, 1999).

À cette première modélisation, Colé et al. (2004) ont ajouté un module « représentations syntaxiques/sémantiques » et un module « représentations morphologiques » activé systématiquement lorsque les représentations phonologiques correspondantes sont sollicitées. L’idée sous-jacente est que l’enfant apprenti-lecteur développerait des représentations morphologiques implicites qui s’activeraient automatiquement avec le recours à la médiation phonologique, comme mécanisme de renforcement lexical lors de la reconnaissance de mots écrits. Avec l’expertise en lecture, un lien supplémentaire direct entre les représentations orthographiques et morphologiques s’établirait. Comme le soulignent les auteurs, « l’intervention des connaissances morphologiques implicites n’est pas directement en lien avec des connaissances phonologiques explicites […] (mais) l’intervention des connaissances morphologiques explicites dans la lecture […] serait en lien avec le développement des connaissances phonologiques explicites » (Colé et al., 2004, p. 745).