4.2. Rôle des correspondances graphie-phonie

Pour déterminer le degré de transparence ou d’opacité d’une langue, deux mesures vont être employées : la régularité ou la consistance. La régularité (Venezky, 1970, cité par Ferrand, 2001) se définit comme l’association la plus fréquente des CGP. Un mot sera considéré comme régulier lorsqu’il sera composé de CGP fréquentes tandis qu’un mot sera irrégulier dès qu’il ne respectera pas les règles de CGP les plus rencontrées. Depuis quelques années, la notion de consistance (Glushko, 1979) est préférée, car elle n’omet pas la fréquence lexicale.

En règle générale, s’il est communément admis que les relations graphie-phonie sont plus simples à appréhender que les règles phonie-graphie, les différences inter-langues peuvent être conséquentes au niveau de la consistance de chacune de ces relations.De nombreuses études se sont ainsi penchées sur ces correspondances lors de l’apprentissage de la lecture (e.g., Caravolas, Kessler, Hulme & Snowling, 2005 ; Cossu, Shankweiler, Liberman & Gugliotta, 1995 ; Frith, Wimmer & Landerl, 1998 ; Goswami, Gombert & Fraca De Barrera, 1998 ; Goswami, Porpodas & Wheelwright, 1997 ; Katz & Frost, 1992 ; Ognjenovic, Lukatela, Feldman & Turvey, 1983 ; Treiman et al., 1995a ; Wimmer et al., 1991 ; pour la présentation d’une vaste étude européenne, Seymour, Aro & Erskine, 2003). Alors que des langues telles que l’italien, le finnois, le serbo-croate, l’espagnol, le grec ou l’allemand sont extrêmement régulières (aussi qualifiées de consistantes ou de transparentes) tant au niveau des correspondances graphophonologiques qu’au niveau des correspondances phonographémiques, le français (e.g., Véronis, 1986 ; Ziegler, Jacobs & Stone, 1996) l’est bien moins au niveau des correspondances graphophonologiques et devient encore plus irrégulier pour les correspondances phonographémiques. Il est possible de résumer que le français dispose d’un code relativement transparent pour la lecture, mais plutôt opaque pour l’écriture. Ainsi, la nouvelle base de données Manulex-infra (Peereman, Lété & Sprenger-Charolles, 2007) que nous avons utilisée dans certaines tâches présentées dans cette thèse est un outil performant permettant de mesurer la consistance dite feedforward et feedback en français.

Quant à l’anglais, il s’agit d’une langue considérée comme particulièrement irrégulière (opaque) puisqu’aussi bien les relations graphophonologiques que les relations phonographémiques sont instables (Ziegler, Stone & Jacobs, 1997) et souvent imprédictibles. L’une des différences majeures, par exemple, entre le français et l’anglais, provient du type d’irrégularité. En français, l’irrégularité est véhiculée essentiellement par les consonnes (Ziegler et al., 1996) tandis qu’en anglais, cette irrégularité s’observe pour les voyelles (Ziegler et al., 1997). Enfin, il est nécessaire de comprendre que la profondeur orthographique est indépendante de la structure syllabique de la langue. De ce fait, une langue peut avoir une profondeur orthographique superficielle (i.e., shallow orthographic depth) et une structure syllabique complexe (e.g., allemand) ou simple (e.g., italien), tout autant qu’une profondeur orthographique profonde (i.e., deep orthographic depth) peut avoir une structure syllabique complexe (e.g., anglais) ou simple (e.g., français).

Frost et al. (1987) estime que pour les orthographes transparentes(e.g., l’allemand), les locuteurs auraient recours à des codes infralexicaux, de type phonémiques par exemple, alors que pour les orthographes opaques (e.g., l’anglais), les locuteurs s’appuieraient directement sur les codes lexicaux, beaucoup plus fiables. Ce constat est pourtant nuancé et même remis en cause depuis les propositions de Ziegler et Goswami (2005) : la théorie psycholinguistique de la granularité (i.e., psycholinguistic grain size theory). Celle-ci fait référence à la taille des unités linguistiques utilisées, en lien avec la régularité des correspondances pour expliquer les variations inter-langues. Ainsi, dans une langue telle que l’allemand, les correspondances graphophonologiques sont robustes, ce qui inciterait les locuteurs à recourir préférentiellement à des unités de taille réduites (i.e., les phonèmes). En revanche, les unités de petites tailles sont très irrégulières en anglais alors que les structures rimiques sont beaucoup plus stables (Treiman et al., 1995b), ce qui favoriserait l’utilisation d’unités phonologiques plus larges, notamment les rimes.