4.5. Théories des unités phonologiques de lecture

La proposition de Ziegler et Goswami (2005) a l’avantage de mettre l’accent sur l’intervention de propriétés propres à chaque langue pour justifier le recours à un type d’unités phonologiques plutôt qu’à un autre. Cependant, deux principales conceptions s’opposent quant à la trajectoire développementale du format des unités phonologiques utilisées dans les traitements de l’écrit.

D’un côté, les partisans de la théorie des grandes unités (e.g., Goswami, 1986 ; 2002 ; Goswami & Bryant, 1990 ; Treiman & Zukowski, 1991 ; Treiman & Cassar, 1997 ; Goswami et al., 1998) défendent le point de vue selon lequel les enfants segmenteraient prioritairement les mots écrits via des unités larges (i.e., attaque-rime) puis progressivement seulement via les unités réduites (i.e., phonèmes). Plus particulièrement, ces auteurs émettent l’hypothèse selon laquelle la segmentation des mots ne s’appuierait pas sur des unités graphémiques (i.e., utilisation des règles CGP) mais essentiellement sur des unités orthographiques plus larges telles que l’attaque-rime. Ces unités seraient plus facilement repérables et donc utilisées plus précocement par les enfants sur la base d’un processus d’analogie (Gombert et al., 1997). Les enfants se réfèreraient aux correspondances graphie-phonie directement issues des traitements effectués sur le langage oral, dont les unités les plus prégnantes et les plus stables sont des unités larges.

De l’autre côté, les partisans de la théorie des petites unités (e.g., Bastien-Toniazzo et al., 1996 ; 1999 ; Duncan, Seymour & Hill, 1997 ; 2000 ; Duncan et al., 2006 ; Seymour, Duncan & Bolik, 1999 ; Seymour & Duncan, 1997 ; Ehri, 2005 ; Hulme, 2002) défendent l’idée d’une progression développementale dans la maîtrise des unités linguistiques allant des unités réduites aux unités plus larges. Pour les partisans d’une progression allant des phonèmes à l’attaque-rime voire aux syllabes (Colé et al., 1999), l’enfant, dont la conscience phonémique s’est développée sous l’effet de l’enseignement de la lecture, recourt à des traitements graphophonémiques (i.e., CGP). L’enfant doit donc apprendre à associer des unités graphémiques et non orthographiques à des unités phonémiques. Le développement de la conscience phonémique favoriserait alors la mise en place des procédures de recodage phonologique qui, en s’automatisant, faciliterait le traitement d’unités plus larges que les phonèmes, plus ambigus d’un point de vue acoustique et plus coûteux cognitivement à assembler ou à segmenter. La position défendue par Bastien-Toniazzo et al. (1996 ; 1999) ou Colé et al. (1999) serait que les enfants décentreraient progressivement leur attention d’unités réduites vers des unités larges grâce à l’apprentissage des CGP et s’appuieraient sur l’activation des unités syllabiques orales, dont le rôle est majeur en français, afin d’effectuer une segmentation syllabique écrite.