5.3.1. Tâche de détection visuelle de cible

Colé et al. (1999) se sont penchés sur le traitement syllabique au début de l’apprentissage de la lecture. Conformément à l’hypothèse de Seymour et Duncan (1997) sur la progression d’unités réduites vers des unités larges, Colé et al. (1999) ont testé à l’aide d’un paradigme de détection visuelle de cible à l’initiale de mots, adapté du paradigme de Mehler et al. (1981), le parcours d’enfants au CP (i.e., cours préparatoire). Les enfants devaient détecter une cible visuelle de structure syllabique CV ou CVC à l’initiale d’un mot présenté subséquemment. Les cibles pouvaient être compatibles (e.g., PA-PA.RADE ; PAR-PAR.TIR) ou incompatibles (e.g., PAR-PA.RADE ; PA-PAR.TIR) avec la structure initiale du mot. Les auteurs avaient également manipulé la fréquence des mots par l’intermédiaire de l’échelle orthographique de Dubois-Buyse (Ters, Mayer & Reichenbach, 1977, cités par Colé et al., 1999). Les résultats obtenus en février (i.e., milieu de la première année d’apprentissage) ont montré un effet de longueur de cible, c’est-à-dire que les enfants traitaient plus rapidement les cibles CV, quelle que soit la structure initiale du mot. Cet effet a été interprété en termes de traitement séquentiel, sur la base soit d’une procédure phonologique de conversion graphophonémique soit d’un traitement purement visuel lettre à lettre. Compte tenu de la méthode d’enseignement reposant sur les règles CGP, la première conclusion a été retenue. En revanche, au mois de juin (i.e., fin de la première année d’apprentissage), les enfants bons lecteurs ont montré des effets syllabiques. En effet, les auteurs ont retrouvé une interaction entre la structure de la cible et la structure initiale du mot dénommée : effet de compatibilité syllabique. Précisément, les enfants répondaient plus vite lorsque les cibles étaient compatibles avec la structure initiale des mots (e.g., PA-PA.RADE et PAR-PAR.TIR). Ce dernier résultat a amené les auteurs à conclure qu’en fin de première année, les enfants sont d’ores et déjà capables d’effectuer un traitement phonologique graphosyllabique.

Ce point de vue est compatible avec celui de Seymour et Duncan (1997), à savoir que les unités phonémiques se substitueraient au profit des unités syllabiques dans un cadre développemental progressant des unités réduites vers des unités plus larges.

Des données similaires ont été obtenues par Rativeau, Zagar, Jourdain et Colé (1997) avec des enfants de la première à la cinquième année d’école primaire. Il s’agissait d’une tâche d’identification visuelle de bigrammes à l’initiale de mots. Il fallait décider si un bigramme (e.g., CO) apparaissait à l’initiale d’un mot (e.g., COPIER ; CABANE) tout en manipulant la congruence syllabique (e.g., CO.PIER vs. COM.POTE). Brièvement, les résultats ont montré qu’au départ, les enfants utiliseraient majoritairement les unités syllabiques avant que, progressivement, cette procédure ne soit de moins en moins basée sur des unités syllabiques, mais de plus en plus sur une procédure orthographique.

L’étude conduite par Colé et Sprenger-Charolles (1999) avec le même protocole expérimental chez, notamment, des enfants normo-lecteurs de 11 ans a permis d’observer des résultats comparables à ceux de Colé et al. (1999). En fait, les enfants avaient recours à un traitement phonologique graphosyllabique pour les mots peu fréquents alors que pour les mots fréquents, un effet de longueur de cible était observé (i.e., les cibles CV étaient détectées plus rapidement que les cibles CVC). L’interprétation de ces résultats a été que le lecteur débutant déplacerait progressivement son attention des unités graphophonémiques vers des unités graphosyllabiques avant d’être capables d’un traitement purement visuo-orthographique. De manière plus approfondie, il est possible d’envisager ce déplacement du type de traitement dans une dynamique reposant sur la maîtrise de propriétés lexicales. Au début de l’apprentissage, en l’absence de lexique orthographique, l’enfant aurait systématiquement recours à un traitement graphophonémique. Progressivement, avec l’augmentation de l’exposition à l’écrit et de la maîtrise des CGP, un traitement plus global et moins coûteux de type graphosyllabique s’installerait pour les mots fréquents, le traitement graphophonémique perdurant pour les mots peu fréquents. Puis, après une période transitoire où la procédure graphosyllabique s’appliquerait pour les mots fréquents et peu fréquents, l’installation de la voie lexicale opèrerait pour les mots fréquents, la décomposition en unités infralexicales syllabiques se restreignant alors aux mots peu fréquents. Cette dernière étape serait le reflet de la mise en place du système expert de la lecture.