7. Synthèse du chapitre 5

Lors de ce chapitre, nous avons présenté les étapes successives de l’apprentissage de la lecture en définissant le rôle de la médiation phonologique et du développement de la conscience phonologique comme mécanismes indispensables de la réussite en lecture. Nous avons particulièrement insisté sur l’importance de la conscience phonologique comme facteur prédisant le mieux la réussite en lecture (e.g., Wagner & Torgesen, 1987), tout en cherchant à faire un état des lieux des recherches sur la taille des unités de lecture et des facteurs linguistiques les contraignant.

Nous avons pu constater que les chercheurs ne s’accordent toujours pas sur la taille des unités qui sont privilégiées lors de l’apprentissage de la lecture : la rime (e.g., Goswami & Bryant, 1990) ou le phonème (e.g., Muter et al., 1998) en anglais. En français, de nombreuses recherches ont proposé que la syllabe puisse être l’unité phonologique de la lecture (e.g., Colé et al., 1999).

Nous avons aussi succinctement cadré les deux courants théoriques qui s’opposent quant à la manière d’aborder le développement dans la maîtrise des unités de lecture. D’une part, nous avons présenté les partisans d’un développement allant des unités larges (e.g., la rime ; Goswami, 1986) aux unités réduites (i.e., le phonème) et d’autre part, les partisans d’un développement se déroulant des unités réduites aux unités larges (e.g., Seymour et al., 1997).

Comme l’ont proposé Ziegler et Goswami (2005), la taille des unités serait dépendante des caractéristiques de la langue dans laquelle s’effectue l’apprentissage. Plus spécifiquement, la régularité et la consistance des correspondances entre les graphèmes et les phonèmes seraient des facteurs directement impliqués dans le recours à un type d’unité particulier. D’ailleurs, la vaste étude européenne menée par Seymour et al. (2003) dresse un constat assez éloquent : plus la langue est opaque, moins l’acquisition des règles CGP est rapide rendant ainsi les performances en lecture de pseudomots assez faibles, au moins lors des premières années d’apprentissage. De ce fait, nous avons pu remettre en cause l’idée d’une transposition de résultats obtenus dans une langue telle que l’anglais à une langue comme le français compte tenu de leurs différences linguistiques assez profondes (e.g., structures syllabiques, irrégularité des CGP…).

Enfin, nous avons appuyé notre démonstration du rôle que pourrait occuper la syllabe en français au travers d’un ensemble vaste et varié de travaux conduits récemment (e.g., Colé et al., 1999 ; Kandel et al., 2006). Nous avons ainsi pu extraire certaines caractéristiques de l’apprentissage de la lecture en français : la syllabe est effectivement une unité rapidement utilisée en lecture, probablement grâce aux connaissances implicites développées avec l’exposition au langage oral. Toutefois, son recours en tant qu’unité phonologique de lecture serait dépendant du niveau de lecture et de la complexité des structures syllabiques (i.e., les syllabes CV seraient plus rapidement acquises et maîtrisées que les structures complexes comme les CCV ou CVC). De plus, son utilisation apparaît comme très précoce en lecture (i.e., milieu de CP). Les résultats obtenus indiquent que le recours aux syllabes ne serait possible que lorsque les règles CGP et l’application d’un traitement grapho-phonémique seraient maîtrisées, avant qu’un traitement plus large, moins coûteux ne s’appuie sur un traitement grapho-syllabique, en conformité avec la théorie des petites unités (Seymour et al., 1997).

Comme lors des précédents chapitres, les caractéristiques de chaque langue, dans leur globalité, sont un facteur qui module profondément la vitesse et la qualité du développement des habiletés de lecture. Le statut de la syllabe semble se renforcer en français, mais il reste nécessaire d’obtenir des preuves de la trajectoire développementale des unités de lecture, jusqu’alors essentiellement étudiée en anglais. L’intérêt est capital, car cela permettrait de comparer le parcours développemental d’enfants normo-lecteurs à celui d’enfants dyslexiques développementaux. Tel est l’un de nos objectifs.