2.2.5. Controverses d’interprétation et de classification des déficits

En anglais, Manis, Seidenberg, Doi, McBride-Chang et Petersen (1996) et Stanovich, Siegel et Gottardo (1997) ou en français, Génard, Mousty, Content, Alégria, Leybaert et Morais (1998) ou Sprenger-Charolles et al. (2000) ont étudié spécifiquement les caractéristiques de chaque sous-type de dyslexies développementales. Dans tous les cas, les auteurs ont mis en évidence une forte proportion de profils de dyslexie mixte. Ces études, prises dans leur ensemble, permettent de montrer des profils dissociés en fonction des mesures effectuées pour chaque tâche : précision ou temps de réponse. Toutefois, que ce soit en anglais ou en français, la proportion de dyslexie phonologique est plus importante que celle de dyslexie de surface. Toutefois, Sprenger-Charolles et al. (2000) ont mis en évidence que considérer les deux types de mesure permet de montrer la présence d’un double déficit, à savoir phonologique et de surface. Il conviendrait mieux de considérer que les profils dissociés sont rares, étant donné que les études ne mesurent en général qu’un seul paramètre.

Par ailleurs, dans les études de Manis et al. (1996), de Stanovich et al. (1997) ou de Bailey, Manis, Pedersen & Seidenberg (2004), seuls les dyslexiques phonologiques ont des performances inférieures à des normo-lecteurs de même âge lexique en analyse phonémique. Stanovich et al. (1997) ont alors proposé que les déficits phonologiques des dyslexiques de surface seraient plus légers que ceux des dyslexiques phonologiques, car ils seraient couplés à une faible exposition à l’écrit. Par contre, Sprenger-Charolles et al. (2000) ont observé que quel que soit le type de dyslexies, les compétences sont amoindries en analyse phonémique, en MCTP et en dénomination automatique rapide (i.e., Rapid Automatic Naming, RAN) par rapport à des normo-lecteurs de même âge lexique14. Par ailleurs, les données montrent en effet que les enfants dyslexiques souffrent d’une trajectoire développementale systématiquement déviante de leurs habiletés phonologiques, plus lents et moins performants comparativement à des enfants appariés en âge chronologique et en âge lexique pour lire des pseudomots (i.e., effet de lexicalité) (e.g., Casalis, 1995 ; Van Ijzendoorn & Bus, 1994 ; Wimmer, 1993). Mais les effets de régularité sont comparables avec des enfants appariés en âge lexique (Metsala, Stanovich & Brown, 1998) (voir aussi Grainger, Bouttevin, Truc, Bastien & Ziegler, 2003). Philip Seymour (1986, cité par Sprenger-Charolles et Colé, 2003) explique que certains dyslexiques sembleraient pouvoir mettre en place des stratégies compensatoires basées sur des procédures lexicales, expliquant de meilleures performances en lecture de pseudomots quand ils se prononcent comme des mots ou quand les traitements hors lecture s’appliquent sur des mots simples et fréquents (Swan & Goswami, 1997).

De récents travaux chez des dyslexiques italiens ou allemands sont venus interpréter leur lenteur en terme de difficultés à mémoriser la forme visuelle des mots alors que les déficits de précision chez les dyslexiques anglais proviendraient d’une déficience phonologique. En résumé, les dyslexiques non anglophones souffriraient de dyslexie de surface (Zoccolotti, De Luca, Di Pace, Judica, Orlandi & Spinelli, 1999) alors que les dyslexiques anglais seraient atteints de dyslexie phonologique (e.g., Hutzler & Wimmer, 2004). Ces derniers ont ainsi montré que l’opacité de l’orthographe influencerait la durée moyenne des fixations oculaires, plus courte chez les Italiens que chez les Allemands (De Luca, Borrelli, Judica, Spinelli & Zoccolotti, 2002). Enfin, l’opacité de l’orthographe pourrait expliquer les différences de proportion de déficits chez les dyslexiques anglais, plus importants, que chez les dyslexiques français (e.g., Paulesu et al., 2001). Compte tenu d’une transparence plus élevée des CGP en français qu’en anglais, les dyslexiques français pourraient tout de même utiliser une procédure phonologique plus efficacement que les dyslexiques anglais, les troubles ne se manifestant dès lors que par la lenteur des temps de réponse (e.g., Sprenger-Charolles et al., 2000 ; Ziegler et al., 2003).

Notes
14.

Deux hypothèses sur la source des difficultés chez les dyslexiques coexistent : des déficits en analyse phonémique et en mémoire à court terme phonologique expliqueraient les troubles de la précision des réponses alors qu’un déficit dans le temps d’accès au lexique, évalué sur la base de RAN rendrait compte de la lenteur des temps de réponse (pour des critiques récentes, voir Vellutino, Fletcher, Snowling & Scanlon, 2004).