3.4.2. Arguments et contre-arguments

Selon Tallal (1980), les caractéristiques des stimuli reposent sur leur ordre d’apparition, leur durée individuelle et la rapidité de leur succession. Cependant, contrairement à Tallal (1980), la sensibilité à la durée de l’intervalle inter-simuli (i.e., inter-stimuli interval, ISI) n’a pas été forcément retrouvée en utilisant le même paradigme de jugement d’ordre temporel et les mêmes conditions expérimentales (e.g., Chiappe et al., 2002 ; Share, Jorm MacLean & Matthews, 2002). Alors que Tallal (1980) et Reed (1989) ont montré que des sons purs et des syllabes CV artificiellement crées n’étaient pas correctement détectés surtout lorsque les ISI étaient très brefs (i.e., inférieurs à 300 ms), au contraire, l’étude de Share et al. (2002) a indiqué que seuls les résultats sur de longs intervalles présentaient des différences significatives entre dyslexiques et normo-lecteurs. En revanche, pour Ramus (2003) et Rosen (2003), les déficits auditifs, lorsqu’ils sont présents, ne sont pas liés à la rapidité de la succession des stimuli auditifs, car plusieurs études n’ont pas permis de retrouver des déficits limités à des intervalles brefs en utilisant les mêmes protocoles que Paula Tallal (e.g., Nittrouer, 1999 ; Marshall, Snowling & Bailey, 2001). De même, ces auteurs recensent que, parfois, aucune différence n’émergerait entre dyslexiques et normo-lecteurs dans des tâches de détection du nombre de sons en fonction d’un ISI variable (Ahissar, Protopapas, Reid & Merzenich, 2000). En effet, dans ce dernier cas, les sujets n’auraient tendance à entendre qu’un seul son quand ce dernier est court (e.g., McAnally & Stein, 1996 ; Ahissar et al., 2000). Par exemple, Chiappe et al. (2002) ont manipulé l’ISI (i.e., de 10 à 100ms) dans deux tâches (i.e., jugement d’ordre temporel et discrimination de paires de syllabes). Leurs résultats ont prouvé qu’il n’y avait pas de différences significatives entre dyslexiques et sujets de même âge chronologique, que ce soit pour des intervalles brefs (i.e., 10 et 25ms) ou longs (i.e., 30 et 100ms). Heiervang, Stevenson et Hugdahl (2002), à l’aide du même protocole que Paula Tallal, ont manipulé non seulement l’ISI mais aussi la durée des sons (e.g., 75ms ou 250ms). Ils ont trouvé que les dyslexiques se différenciaient des normo-lecteurs que pour les sons de 75ms, d’autant plus si l’ISI diminuait. Ces données confirment ainsi l’aspect de troubles reposant sur une composante « brièveté des stimuli » et « rapidité de succession des stimuli ».

De nombreuses autres études sont ainsi venues remettre en question les aspects dégagés par les travaux de Paula Tallal, notamment en montrant que les dyslexiques ne manifestaient des difficultés que pour traiter des signaux acoustiques verbaux. Pour certains auteurs, l’origine des troubles en perception de parole serait phonétique (ou de nature parole-spécifique) et non pas générale (e.g., Mody, Studdert-Kennedy & Brady, 1997 ; Nittrouer, 1999 ; Rosen, 2003 ; Studdert-Kennedy, 2002). Ces auteurs défendent l’idée selon laquelle les difficultés à traiter les sons brefs se succédant rapidement proviendraient des caractéristiques des transitions consonne-voyelle et de l’explosion des consonnes, très brèves, qui joueraient un rôle prépondérant dans la perception et la discrimination des phonèmes. Dans les travaux de Mody et al. (1997), les résultats ont montré qu’en discrimination et en jugement d’ordre temporel de stimuli verbaux se différenciant par un ou plusieurs traits phonétiques, seule la réduction des ISI sur des paires phonétiquement proches affectait les faibles lecteurs. De même, l’incidence du raccourcissement des ISI ne s’observe que pour les sons verbaux, pas avec les sons non verbaux. Les auteurs ont donc interprété leurs résultats en termes de difficultés de discrimination plutôt que de troubles de jugement d’ordre temporel. Avec des sujets dyslexiques, ce même genre de données a été obtenu dans de nombreuses études, comportementales ou électrophysiologiques (e.g., Breier, Gray, Fletcher, Foorman & Klaas, 2002 ; Rosen & Manganari, 2001 ;Schulte-Körne, Deimel, Bartling & Remschmidt, 1998a ; Schulte-Körne, Bartling, Deimel & Remschmidt, 1999 ; Serniclaes, Sprenger-Charolles, Carré & Démonet, 2001). En revanche, les études de Ramus et al. (2003b) et de White et al. (2006) n’ont pas mis en évidence de différences entre les traitements de sons verbaux et non verbaux, bien que les auteurs aient partiellement dégagé des profils de dyslexiques présentant des déficits spécifiquement linguistiques. Pour Ramus (2003), le déficit auditif ne semblerait pas à l’origine des troubles phonologiques et des difficultés en lecture. Les analyses statistiques effectuées par Ramus et al. (2003b) ou Chiappe et al. (2002) ont montré que les habiletés auditives expliquent peu ou pas du tout la variance en lecture.