3.4.3. Variabilités des manifestations auditives déficitaires

Les déficits auditifs peuvent se ranger une grande variabilité de manifestations (voir Nagarajan, 2002). Certains dyslexiques ont des difficultés pour traiter les signaux acoustiques et discriminer leurs seuils en fonction de leurs résolutions spectrales et temporelles (Ahissar et al., 2000 ; Hari, Sääskilahti, Helenius & Uutela, 1999 ; Schulte-Körne et al., 1998a).

Par exemple, les troubles auditifs s’observent en perception catégorielle incluant des phonèmes naturels (Manis, McBride-Chang, Seidenberg, Keating, Doi, Munson et al., 1997 ; Breier, Gray, Fletcher, Diehl, Klaas, Foorman et al., 2001 ; Serniclaes et al., 2001 ; Serniclaes, Van Heghe, Mousty, Carré & Sprenger-Charolles, 2004). Les déficits sont retrouvés en discrimination d’intensité et de fréquences de sons purs (Ahissar et al., 2000 ; Witton, Talcott, Hansen, Richardson, Griffiths, Rees et al., 1998 ; Talcott, Witton, McClean, Hansen, Rees, Green et al., 1999), monauralement en détection de sons brefs dans un bruit masquant (Wright, Lombardino, King, Puranik, Leonard & Merzenich, 1997) ou binauralement (McAnally & Stein, 1996 ; mais voir Chait, Eden, Poeppel, Simon, Hill & Flowers, 2007), en masquage rétroactif (i.e., son à détecter suivi d’un autre son, Rosen & Manganari, 2001 ; Bishop, Carlyon, Deeks & Bishop, 1999), en traitement de syllabes CV présentées dans un bruit blanc (Cornelissen, Hansen, Bradley & Stein, 1996), une diminution de la sensibilité pour percevoir et détecter de faibles taux de modulation d’amplitude (e.g., Goswami, Thomson, Richardson, Stainthorp, Hughes, Rosen et al., 2002 ; mesure de l’Amplitude Modulation Following Response, AMFR, McAnally & Stein, 1997 ; Menell et al., 1999) ou de modulation de fréquence (e.g., Witton, Stein, Stoodley, Rosner & Talcott, 2002), en détection de changements rapides de la fréquence des formants consonantiques (environ 40ms) (e.g., Adlard & Hazan, 1998 ; Masterson, Hazan & Wijayatilake, 1995)… Les travaux de Nina Kraus (e.g., Cunningham, Nicol, Zecker, Bradlow & Kraus, 2001 ; King, Warrier, Hayes & Kraus, 2002 ; Russo, Nicol, Zecker, Hayes & Kraus, 2005 ; Wible, Nicol & Kraus, 2005) ont montré une mauvaise synchronisation et une dégradation dans la génération et la transmission de l’activité neuronale dans le tronc cérébral, ce qui contribuerait à la diminution de l’intégrité de l’encodage des caractéristiques temporelles dans le cortex auditif, induites par des stimuli répétés ou des bruits masquants.

Witton et al. (2002) ont montré que les dyslexiques étaient moins performants que les normo-lecteurs à des seuils de 2Hz en modulation de fréquence (i.e., Frequency Modulation, FM) et de 20Hz en modulation d’amplitude (i.e., Amplitude Modulation, AM, voir aussi McAnally & Stein, 1996 ; Menell, McAnally & Stein, 1999). Lorenzi, Dumont et Füllgrabe (2000) ont obtenu des seuils de détection plus élevés que chez les normo-lecteurs pour des modulations d’amplitude de 4Hz mais les différences n’étaient pas significativement différentes à 64 ou 256Hz. Selon Rocheron, Lorenzi, Füllgrabe, Legros et Dumont (2002), les déficits des dyslexiques seraient généralisables aux traitements des modulations de fréquence et d’amplitude inférieures à 20Hz. Les dyslexiques manifesteraient une faible sensibilité aux modulations dynamiques, ce qui engendre une élévation des seuils de détection de la modulation d’amplitude des échantillons de fréquences propres à la perception de la parole et au traitement des syllabes, c’est-à-dire à des fréquences de 2Hz et 4Hz (Shannon, Zeng, Kamath, Wygonski & Ekelid, 1995).

Récemment, Goswami et al. (2002) ont exploré l’hypothèse d’un trouble de perception du P-center (i.e., la période d’augmentation de l’enveloppe de l’amplitude qui dénote le point à partir duquel une voyelle ou une syllabe est perçue, important pour distinguer deux éléments comme l’attaque ou la rime). À partir d’une tâche où des enfants devaient dire s’ils percevaient ou non un battement, Goswami et al. (2002) ont ainsi vérifié l’hypothèse d’un trouble du P-center qui entraînait des difficultés d’extraction de traits suprasegmentaux. La perception (à 0.7Hz d’AM) des battements était plus difficilement détectée dans un signal modulé en amplitude en anglais, langue rythmée par l’accent, mais aussi en français, langue rythmée par la syllabe (Muneaux, Ziegler, Truc, Thomson & Goswami, 2004). Enfin, le traitement des sons modulés en amplitude serait étroitement corrélé aux habiletés phonologiques et aux compétences en lecture (Goswami et al., 2002 ; Hämäläinen, Leppänen, Torppa, Müller & Lyytinen, 2005).

De nombreuses études en Potentiels Évoqués (i.e., PE) se sont intéressées à la MisMatch Negativity (i.e., MMN) qui est un PE caractérisé par une déflexion négative au niveau fronto-central survenant 100 à 300ms après le début d’une stimulation stimulation déviante dans une série des stimulations homogènes (e.g., changements de fréquence, d’intensité…). La MMN correspond à un traitement auditif automatique, inconscient et pré-attentif. Elle est censée être le reflet d’un mécanisme de comparaison de chaque stimulation auditive avec des traces de récentes stimulations stockées en mémoire auditive (voir Kujala & Näätänen, 2001).

Une réduction de la MMN a été fréquemment mise en évidence chez les sujets dyslexiques (e.g., Baldeweg, Richardson, Witkins, Foale & Gruzelier, 1999 ; Kujala, Myllyviita, Tervaniemi, Alho, Kallio & Näätanen, 2000 ; Schulte-Körne, Deimel, Bartling & Remschmidt, 1998b ; Schulte-Körne, Deimel, Bartling & Remschmidt, 2001), mais les controverses qui perdurent concernent la nature des stimuli : signaux verbaux et/ou signaux non verbaux. Kujala, Belitz, Tervaniemi et Näätänen (2003). Kujala, Karma, Ceponiene, Belitz, Turkkila, Tervaniemi et al. (2001) ont mené auprès d’enfants avec troubles de l’apprentissage un entraînement avec des stimuli audio-visuels non verbaux. Ils ont observé une augmentation de l’amplitude de la MMN, corrélée avec une augmentation des performances en lecture.