3.4.4. Conclusion

Il existe de nombreux arguments en faveur d’un déficit perceptif auditif recouvrant une large gamme de troubles, même chez des enfants en cours d’apprentissage de la lecture présentant un risque génétique de dyslexie (Boets, Ghesquière, Wieringen & Wouters, 2007). Cependant, le rôle des traitements auditifs temporels peut être aisément remis en question. Les manifestations de tels troubles peuvent soit être répliquées, soit être contradictoires. Les dyslexiques peuvent avoir de mauvaises performances dans les traitements temporels lents (e.g., Amitay et al., 2002 ; Hämäläinen et al., 2005 ; Witton et al., 2002) mais de bons résultats dans les traitements temporels rapides (e.g., Mody et al., 1997 ; Schulte-Körne et al., 1998b), contrairement au point de vue de Paula Tallal.

L’utilisation d’entraînements (voir Habib, 2003) basés sur la discrimination de séquences auditives temporelles avec de la parole acoustiquement modifiée, amplifiée et ralentie pour améliorer l’intelligibilité au niveau des transitions rapides et des sons brefs a apporté d’intéressants résultats en faveur d’une amélioration des performances en lecture (en anglais, voir, Tallal, Miller, Bedi, Byma, Wang, Nagarajan et al., 1996 ;Merzenich, Jenkins, Johnston, Schreiner, Miller & Tallal, 1996 ; Miller, Linn, Tallal, Merzenich & Jenkins, 1999 ; en français, voir Habib, Espesser, Rey, Giraud, Bruas & Gres, 1999 ;Rey, De Martino, Espesser & Habib, 2002). Cela a même été conforté par des modifications des activations cérébrales traditionnellement hypoactivées (Temple et al., 2003 ; Ruff, Cardebat, Marie & Démonet, 2002). Cependant, ces performances n’étaient pas forcément supérieures à celles d’études dans lesquelles l’entraînement avait été proposé à un groupe sans parole artificiellement modifiée (Habib, Rey, Daffaure, Camps, Espesser, Joly-Pottuz et al., 2002).

Dans sa récente revue de questions concernant les théories magnocellulaires auditives et visuelles, Ramus (2001) rappelle qu’il convient de ménager les données dans la mesure où les conclusions ne sont pas toutes convergentes et que les déficits sensoriels ne sont pas forcément reliés aux déficits phonologiques. En effet, l’une des faiblesses de l’hypothèse auditive-temporelle repose sur le fait que certains travaux ont montré qu’il n’existait pas de relations entre les déficits auditifs temporels et les capacités de catégorisation phonémique (Chiappe et al., 2002 ; Rosen & Manganari, 2001) ni entre les habiletés auditives et les habiletés phonologiques ou les compétences en lecture (Heiervang et al., 2002 ; Marshall et al., 2001 ; pour des résultats nuancés, voire contradictoires, Ahissar et al., 2000 ; Van Ingelghem, Van Wieringen, Wouters, Vandenbussche, Onghena & Ghesquière, 2001). D’autrepart, Share et al. (2002) ont montré que les habiletés auditives précoces ne prédisaient pas les déficits subséquents en lecture. Certains dyslexiques manifestent même des compétences auditives supérieures aux normo-lecteurs dans certaines études (Kronbichler, Hutzler & Wimmer, 2002 ; Serniclaes et al., 2001).

Un ensemble de ces résultats a montré que ces troubles auditifs seraient précoces et de bas niveau (e.g., Nagarajan et al., 1999 ; Schulte-Körne et al., 1999 ; Lachmann, Berti, Kujala & Schröger, 2005), à un stade pré-attentif. Ils pourraient affecter les traitements auditifs ascendants, compromettant alors les étapes perceptives ultérieures (i.e., reconnaissance de mots). De leur côté, Helenius, Uutela et Hari (1999) avaient observé une difficulté pour percevoir des sons séquentiels qui montrait une ségrégation excessive des flux sonores ; il s’agirait d’un problème d’interférences et de ralentissement des intégrations perceptives.

Mais si chez les dyslexiques ayant des troubles auditifs ont été retrouvés les déficits phonologiques les plus sévères, l’inverse n’est pas systématiquement vrai. La proportion de dyslexiques souffrant de troubles auditifs n’est pas aussi élevée que le laissent transparaître les études et plafonne généralement aux alentours de 50% (Ramus, 2003), même dans les études ayant focalisé leur attention sur ce genre de déficit (e.g., Tallal, 1980 ; Marshall et al., 2001). Enfin, de nombreuses recherches indépendantes ont abouti à des conclusions ne permettant pas d’établir des liens entre les déficits auditifs et des anomalies du système magnocellulaire (e.g., Amitay, Ben-Yehudah, Banai & Ahissar, 2002 ; Schulte-Körne, 1999).