3.6.2. Manifestations neurophysiologiques et comportementales

La distribution de l’attention de part et d’autre d’un point de fixation apparaît comme ne pas être identique chez les personnes dyslexiques et chez les sujets contrôles (Facoetti et al., 2000a). En effet, la détection d’une cible est d’autant plus difficile que son excentricité s’accroît par rapport au point de fixation central chez les sujets contrôles alors que les enfants dyslexiques ne sont pas influencés par ce facteur, ce qui traduirait une distribution plus diffuse de l’attention dans l’espace. Cette attention diffuse se caractériserait aussi par une distribution asymétrique gauche-droite (i.e., distraction faible à gauche, mais très élevée à droite), renvoyant à l’idée d’un déficit d’inhibition droite (Facoetti et al., 2003a). En d’autres termes, ces difficultés de focalisation au centre proviendraient d’interférences périphériques, c’est-à-dire de troubles d’inhibition des informations visuelles périphériques pertinentes. Le filtrage de l’information est un processus qui n’implique pas seulement un mécanisme d’ajustement d’une fenêtre attentionnelle, il se fonde aussi sur un processus d’inhibition de l’information nonpertinente (Facoetti et al., 2003a). Un tel constat contribue à alimenter l’hypothèse d’un déficit dans l’orientation automatique de l’attention chez les dyslexiques et notamment un phénomène de mini-négligence gauche (i.e., left minineglect, e.g., Hari, Renvall & Tanskanen, 2001) qui pourrait entraver la lecture en réduisant les possibilités de saccades régressives (même dans des tâches de bissection de lignes, Sireteanu, Goertz, Bachert et Wandert (2005) ont observé que les dyslexiques ont des difficultés à estimer la longueur de segments situés dans l’hémichamp gauche (mais voir Duncan & Grieve, 2007)). Les troubles de l’attention sélective (i.e., une réduction conséquente de l’attention à gauche et une hyper-focalisation à droite) sont interprétés par certains auteurs comme la résultante d’un dysfonctionnement du cortex pariétal postérieur qui sous-tendrait les mécanismes attentionnels impliqués en lecture (Vidyasagar, 2004 ; Schulte-Körne et al., 1999). Stein (2003) rejoint les données électrophysiologiques déjà disponibles en émettant l’hypothèse selon laquelle les troubles attentionnels des dyslexiques pourraient reposer, au-delà d’anomalies du système magnocellulaire qui guide l’orientation et l’attention, sur des atteintes du cortex pariétal postérieur sur lequel se projette ce système magnocellulaire.

Dernièrement, l’hypothèse d’un déficit attentionnel a été étendue à la notion de déficit attentionnel amodal, c’est-à-dire qu’il se manifesterait dans des modalités autres que visuelle, mais également auditive ou tactile. Hari et Renvall (2001) ont proposé une théorie du déplacement attentionnel ralenti (i.e., sluggish attentional shifting theory) qui souligne des troubles de l’engagement, du désengagement et, par là même, des difficultés de réengagement attentionnel pour traiter les stimuli temporels rapides quelle que soit la modalité sensorielle ou (e.g., Helenius et al., 1999).

Les dyslexiques présenteraient donc des anomalies pour la focalisation, qui implique le contrôle de la taille de la fenêtre attentionnelle. Ils auraient une organisation diffuse de leur attention et souffriraient de difficultés pour adapter leur fenêtre attentionnelle, c’est-à-dire d’une réduction de la taille de l’espace sur lequel ils sont capables d’extraire et de traiter l’information en parallèle. Des techniques de réhabilitation ou d’entraînement récemment testées visant à élargir la fenêtre attentionnelle ou à améliorer la capture attentionnelle ont fait ressortir des résultats encourageants, mettant en lien l’amélioration des compétences attentionnelles avec une augmentation des scores et de la vitesse en lecture (Facoetti, Lorusso, Paganoni, Umiltà & Mascetti, 2003b ; Lorusso, Facoetti, Toraldo & Molteni, 2005).