3.8.3. Voisement et déficits en perception catégorielle

Comme nous venons de le rappeler, les dyslexiques éprouvent de grandes difficultés pour mettre en lien les représentations écrites et sonores de leur langue. Or, l’appariement entre graphèmes et phonèmes nécessite une représentation phonémique bien spécifiée en mémoire, ce qui ne semble pas être le cas chez les dyslexiques (Swan & Goswami, 1997 ; pour un point de vue critique, voir Ramus & Szenkovits, 2008). Plus spécifiquement, les dyslexiques seraient gênés lorsqu’ils doivent différencier deux sons qui ne se différencient que par le trait phonétique de voisement ou délai de voisement (e.g., Adlard & Hazan, 1998 ; Serniclaes et al., 2001 ; 2004 ; Werker & Tees, 1987).

L’exploration des compétences en perception catégorielle a notamment trouvé sa motivation pour les partisans d’un déficit auditif purement linguistique dans la mesure où les faibles performances seraient dues à la confusion de phonèmes proches, uniquement différenciés par des transitions rapides comme le voisement (e.g., Mody et al., 1997 ; Rosen & Manganari, 2001 ; Serniclaes et al., 2001). Ces arguments sont essentiellement étayés par les travaux menés par Willy Serniclaes et ses collaborateurs.

Le sujet devait dire si les deux sons entendus étaient identiques ou non. Lors de la comparaison entre dyslexiques et enfants normo-lecteurs de même âge chronologique, les résultats ont conforté l’hypothèse d’un déficit linguistique, dans la mesure où les deux groupes ne se différenciaient que dans la condition « sons de parole ». Ultérieurement, Serniclaes et al. (2004) ont réétudié les capacités de catégorisation du trait phonétique de voisement chez des enfants dyslexiques, normo-lecteurs et des adultes. Les résultats ont suggéré une plus faible discrimination à la frontière phonémique (i.e., +15ms de VOT) chez les enfants dyslexiques de 9 ans par rapport à des enfants de mêmes âges chronologiques et des adultes. De plus, cette sensibilité était accrue chez les dyslexiques aux environs de -30ms de VOT, ce qui correspond à l’une des localisations phonétiques utilisées pour percevoir le voisement. La perception affaiblie à -30ms signale un mode de perception particulier de type allophonique (i.e., réalisé selon le contexte), mais moins économique que des représentations phonémiques bien stockées. Cela expliquerait les déficits en lecture dans la mesure où il est nécessaire pour apprendre à lire et à utiliser les CGP de posséder des catégories phonémiques bien spécifiées. Si le dyslexique perçoit mal les différences entre deux phonèmes de sa langue et qu’en plus, il perçoit des allophones d’un même phonème, mais ne faisant pas partie de la gamme des phonèmes de sa langue, alors il ne peut en résulter que des troubles dans l’application des CGP. Le recours à un mode de perception allophonique plutôt que phonémique serait plus lourd, plus contraignant, car les dyslexiques devraient stocker plus de sons que la norme, d’où des problèmes de mémoire, car la quantité d’informations serait bien plus conséquente.