4. Conclusion

Pour beaucoup d’auteurs, le déficit phonologique serait le seul trouble cognitif spécifique (Snowling, 2001 ; Ramus, 2003 ; Vellutino et al., 2004 ; Shaywitz & Shaywitz, 2005) présent dans toutes les dyslexies. Ce constat n’exclut pas une origine cérébrale qui est supportée par de nombreuses études en imagerie cérébrale structurale et fonctionnelle (Shaywitz & Shaywitz, 2005 ; Eckert, 2004). Comme le présente Ramus (2004) avec un modèle neurobiologique complet intégrant toutes ces variables, les données disponibles accordent une origine génétique expliquant les anomalies cérébrales rendant ainsi plausible un déficit phonologique d’origine biologique.

À l’exception de la théorie phonologique, toutes les autres théories paraissent faibles quant à leur pouvoir explicatif. La variabilité d’un ou plusieurs troubles sensori-moteurs qui peut exister d’une étude à l’autre (i.e., de 0 à 80%, Ramus et al., 2003b) n’est que le reflet d’un manque d’universalité de tels troubles dans les populations de dyslexiques. Ce phénomène ne fait ainsi que renforcer la valeur du déficit cognitif de nature phonologique. D’ailleurs, la part de la variance explicative en lecture est principalement due aux déficits en habiletés phonologiques chez les dyslexiques et pas – ou très peu – par les habiletés auditives ou motrices (e.g., Chiappe et al., 2002 ; Ramus et al., 2003b ; White et al., 2006).

Malgré les controverses sur la présence d’un « syndrome sensori-moteur » qui ne serait qu’une simple comorbidité sans lien causal, les motivations ayant conduit à des entraînements ciblés ont permis d’ouvrir des voies intéressantes. Plus particulièrement, les exercices portant sur le voisement ou sur des tâches phonologiques visant à renforcer la qualité des CGP ont apporté des résultats bénéfiques et encourageants (e.g., Magnan et al., 2004). Parallèlement, cela a favorisé l’exploration de voies nouvelles portant sur des entraînements morphologiques (Arnback & Elbro, 2000). En effet, les déficits dans les traitements grapho-phonologiques pourraient être compensés par des traitements grapho-sémantiques (Casalis, Colé & Sopo, 2004).

Malgré une accumulation croissante en faveur d’une prévalence des troubles phonologiques, il est nécessaire de continuer les recherches pour isoler et caractériser plus précisément les facteurs phonologiques, acoustico-phonétiques et linguistiques déficitaires chez les dyslexiques, notamment en français. Comme l’avait déjà souligné Ramus (2001), il reste beaucoup de chemin à parcourir pour établir la nature exacte des déficits phonologiques. Nos derniers objectifs sont dédiés aux traitements mis en œuvre par les enfants dyslexiques, systématiquement comparés à des enfants normo-lecteurs de mêmes âges chronologiques et lexiques. Dans un premier temps, il s’agit d’évaluer le niveau de compétences phonémiques et la qualité des représentations phonémiques (capitales pour l’apprentissage des règles CGP et pour la maîtrise d’unités larges telles que la syllabe) en nous appuyant sur une tâche de discrimination auditive de paires minimales s’apposant sur le trait phonétique du voisement. Ensuite, plus particulièrement, le but est d’utiliser une tâche de décision lexicale et une tâche de détection visuelle de cible à l’initiale de mots afin de déterminer si les enfants dyslexiques s’appuient sur des traitements phonologiques et s’ils sont sensibles à la complexité et à la fréquence syllabiques. Enfin, nous appuyons notre démarche sur l’utilisation du paradigme des conjonctions illusoires et sur une tâche de reconnaissance bimodale audio-visuelle de pseudomots pour savoir si les enfants dyslexiques peuvent réaliser des traitements phonologiques dans ce type de tâches assez contraignantes cognitivement. Dans ce dernier cas, nous envisageons également d’étudier la sensibilité de ces enfants à la phonotactique et à la sonorité aux frontières syllabiques. Globalement, pour toutes ces tâches, il convient de déterminer si les enfants dyslexiques s’appuient sur l’unité syllabique pour lire et s’ils ont développé une sensibilité aux structures internes de leur langue, malgré des déficits en analyse phonémique relevés au préalable dans des tests de lecture.