5. Conclusion et perspectives

L’ensemble de notre travail a tenté de proposer une approche aussi riche et complète que possible du rôle de la syllabe et de certaines caractéristiques linguistiques du français. D’un point de vue développemental, il est apparu que la syllabe constitue une unité prélexicale en lecture silencieuse tout au long de l’apprentissage de la lecture, dont l’utilisation est dépendante de la fréquence syllabique. Par ailleurs, nous avons renforcé l’idée d’une progression allant des petites unités vers les unités larges comme la syllabe, en insistant sur l’importance de l’apprentissage des règles CGP et des connaissances implicites sur les syllabes orales pour établir des correspondances avec les syllabes écrites. Nous avons également démontré que mêmes des enfants avec des difficultés d’apprentissage de la lecture présentant un déficit de vitesse et très souvent de précision sont capables d’utiliser des traitements phonologiques, a fortiori des traitements phonologiques qui reposent sur l’unité syllabique alors qu’ils présentent des déficits en analyse phonémique, à la base de la construction des unités syllabiques.

Par ailleurs, nous avons défendu l’idée d’un impact direct des caractéristiques linguistiques du français dans l’utilisation de la syllabe comme la fréquence syllabique, la complexité syllabique et la sonorité à la frontière syllabique. Nous insistons sur l’importance de ces différents aspects dans la mesure où ils se sont révélés impliqués avec force dans les traitements observés par des enfants en tout début d’apprentissage de la lecture, mais également par des adultes et surtout par des enfants dyslexiques. Comme nous l’avions déjà exposé, la syllabe est une unité capitale en lecture silencieuse et ce sont les caractéristiques du français qui lui fournissent son statut.

Nous avons pu voir que l’utilisation du paradigme des conjonctions illusoires a été problématique, dans nos travaux, car il n’a pas permis de réaliser les analyses habituelles, bien que nous ayons réutilisé les paramètres originels du paradigme. En effet, chez les adultes, le nombre d’erreurs trop faible n’a pas permis de mener des analyses. Chez les enfants, ce n’est qu’en considérant l’ensemble des populations d’enfants que nous avons pu observer que les conjonctions illusoires d’erreurs de préservation (i.e., attribuer la couleur de la lettre ‘P’ au segment ‘UDE’ dans ‘TOLP UDE’, condition ‘incompatibilité syllabe-couleur’) étaient supérieures aux erreurs de violation (i.e., attribuer la couleur de la lettre ‘P’ au segment ‘TOL’ dans ‘TOL PUDE’, condition ‘compatibilité syllabe-couleur’). Ce sont les bonnes réponses et les temps de réponse sur les bonnes réponses qui n’ont ont principalement conduit à défendre la place prépondérante occupée par la syllabe et les caractéristiques linguistiques.

Dans le domaine des entraînements phonologiques informatisés (e.g., Magnan & Écalle, 2006 ; Wise, Ring & Olson, 2000), nos résultats peuvent s’avérer précieux. En effet, les travaux ayant proposé un entraînement sur les correspondances orales et écrites des phonèmes ont montré une amélioration des performances en lecture (e.g., Ehri et al., 2001). Les perspectives ouvertes par nos travaux sont autant d’arguments en faveur d’entraînements phonologiques basés sur la syllabe pour la prise en charge des déficits en lecture d’enfants dyslexiques ou en difficulté. Il serait intéressant de véritablement intégrer la syllabe comme unité centrale d’entraînements phonologiques proposés aux enfants en difficulté, comme cela ne vient que récemment d’être testé par Calmus (2007) (voir aussi Magnan, Écalle & Calmus, in press). Pourtant, la syllabe avait déjà fait l’objet d’une proposition en tant qu’une fonctionnelle qui « pourrait constituer une bonne base de départ à toute activité de remédiation » (Écalle, Magnan & Bouchafa, 2002, p. 11). Des entraînements combinant le statut de la syllabe en français ainsi que le trait phonétique de voisement pourraient apporter des effets bénéfiques sur la qualité des représentations stockées en mémoire et favoriser le développement et l’automatisation des procédures de traitements phonologiques. Des exercices focalisant sur la segmentation syllabique pourraient voir leurs répercussions s’accroître s’ils prenaient en compte les profils de sonorité aux frontières syllabiques ainsi que la fréquence des syllabes. Prendre en considération ces caractéristiques serait une voie intéressante, dans un premier temps en français, pour conduire des travaux dont les entraînements pourraient être envisagés comme transposable dans d’autres langues qualifiées de « rythmées par la syllabe » (e.g., espagnol, italien…).