1.1.2 Connaissances implicites des auditeurs

L’étude de l’organisation fonctionnelle du système auditif a mis en évidence l’existence de voies descendantes (Perrot et al., 2006), qui indiquent que la perception auditive n’est pas seulement une série d’encodages sensoriels mais fait intervenir une modulation des traitements auditifs par les aires corticales. Les recherches sur la vision ont montré depuis longtemps que percevoir n’est pas juste recevoir des stimuli externes via des récepteurs : le cerveau utilise en permanence des connaissances liées à des événements passés ou au contexte de présentation pour interpréter les stimuli externes. En psychologie, on parle d’influences descendantes (top-down) pour désigner la façon dont nos connaissances influencent notre perception (cf. Kveraga, Ghuman, & Bar, 2007 pour une revue). Des influences descendantes sont par exemple responsables d’illusions perceptives comme l’illusion du triangle de Kanizsa (Figure 1.1.4). Bien que la recherche en audition soit historiquement « en retard » sur la recherche en vision, l’étude de l’influence des phénomènes descendants sur la perception sonore s’est beaucoup développée ces 15 dernières années avec la prise en compte grandissante du cognitif dans la perception sonore (avec des ouvrages comme ceux de Bregman, 1990 ou de McAdams et Bigand, 1994). Ces phénomènes descendants ont été particulièrement étudiés pour le langage : comprendre une conversation suppose d’interpréter en permanence des stimuli sonores selon leur contexte. Par exemple un mot peut avoir plusieurs sens selon le contexte, et en langage oral certains phonèmes sont mal ou pas articulés - ou entendus dans un environnement bruité - d’où la nécessité de la restauration phonémique. Grâce à sa complexité et à sa prégnance dans notre vie quotidienne, le langage a été très longtemps l’objet d’études quasi-unique de la cognition auditive. L’étude de la cognition musicale s’est développée plus tardivement (à partir des années 70, avec les travaux de W.J. Dowling ou D. Deutsch) et s’est largement inspirée de l’étude de la cognition langagière. La musique est, tout comme le langage, un système complexe de sons structurés par une syntaxe (plus ou moins formalisée par les traités de théorie musicale) et cette structuration syntaxique fait de la perception musicale un phénomène soumis à des influences cognitives descendantes. L’étude du langage et de la musique partage donc deux grand types de questions : comment les auditeurs acquièrent-ils des connaissances des régularités structurelles ? et comment ces connaissances influencent-elles la perception d’événements ?

Figure 1.1.4. Triangle de Kanizsa (1979). Dans cette illusion d’optique, un triangle blanc dépourvu de contours est perçu au-dessus des cercles noirs et d’un autre triangle.
Figure 1.1.4. Triangle de Kanizsa (1979). Dans cette illusion d’optique, un triangle blanc dépourvu de contours est perçu au-dessus des cercles noirs et d’un autre triangle.