Distances entre tonalités

L’étude des jugements de similarité entre accords en contexte a montré que les auditeurs sont sensibles aux distances entre tonalités (Krumhansl et al., 1982). Plus précisément, les jugements de concordance obtenus par Krumhansl et Kessler (1982) leur ont fourni une mesure indirecte des distances perçues entre tonalités. Pour cela, ils ont calculé les corrélations entre les profils tonals obtenus pour les tonalités majeures et mineures (profils transposés dans les différentes tonalités). Une corrélation positive élevée entre deux profils tonals indiquait deux tonalités proches et une corrélation négative élevée indiquait deux tonalités éloignées. Une représentation spatiale des distances inter-tonalités a été obtenue par analyse multidimensionnelle (multidimensional scaling : MDS), et cette représentation est en accord avec la théorie musicale. Une représentation toroïdale a été obtenue (Figure 1.2.3). Dans cette représentation, les cercles des quintes pour les tonalités majeures et mineures s’enroulent autour d’un tore, chacun des deux cercles boucle trois fois autour du tore avant de se refermer sur lui-même, et chaque tonalité majeure est voisine de sa tonalité relative mineure et de sa tonalité parallèle mineure.

Les relations entre tonalités ont fait également l’objet d’études avec des tâches de reconnaissance en mémoire. Dans l’étude de Bartlett et Dowling (1980), les participants écoutaient une mélodie standard (en Do Majeur) suivie d’une mélodie de comparaison qui était soit dans la même tonalité, soit transposée dans une tonalité proche (Sol ou Ré Majeur) ou éloignée (Mi ou Si Majeur). La mélodie de comparaison était soit une transposition exacte, soit une transposition inexacte où certains intervalles avaient été modifiés. Les participants devaient juger si les deux mélodies étaient identiques ou non. Ils jugeaient plus souvent – à tort – que les deux mélodies étaient identiques (alors qu’elles étaient différentes) lorsque les tonalités des deux mélodies étaient proches que lorsqu’elles étaient éloignées. Ce résultat indique que les auditeurs perçoivent les distances entre les tonalités et que ces distances influencent leur perception de la musique (ici, leur représentation de mélodies en mémoire).

Figure 1.2.3. Représentation « éclatée » dans un plan de la représentation toroïdale de l’espace des tonalités. Pour visualiser le tore, il faut imaginer que les deux bords horizontaux sont confondus, de même que les deux bords verticaux. Les tonalités majeures sont en majuscules, les tonalités mineures sont en minuscules. Le cercle des quintes des tonalités majeures suit les flèches en pointillés larges, le cercle des quintes des tonalités mineures suit les flèches en pointillés serrés. Les pointillés très serrés indiquent les relations de voisinage liées aux tonalités relatives et parallèles (e.g., La mineur est la relative de Do Majeur, Do mineur est la tonalité parallèle de Do Majeur). D’après Krumhansl et Kessler, 1982.
Figure 1.2.3. Représentation « éclatée » dans un plan de la représentation toroïdale de l’espace des tonalités. Pour visualiser le tore, il faut imaginer que les deux bords horizontaux sont confondus, de même que les deux bords verticaux. Les tonalités majeures sont en majuscules, les tonalités mineures sont en minuscules. Le cercle des quintes des tonalités majeures suit les flèches en pointillés larges, le cercle des quintes des tonalités mineures suit les flèches en pointillés serrés. Les pointillés très serrés indiquent les relations de voisinage liées aux tonalités relatives et parallèles (e.g., La mineur est la relative de Do Majeur, Do mineur est la tonalité parallèle de Do Majeur). D’après Krumhansl et Kessler, 1982.

De nombreuses autres études ont mis en évidence que la perception de la musique n’est pas seulement influencée par les relations tonales mais aussi par d’autres facteurs de hauteur comme la proximité entre notes (Frankland & Cohen, 1990 ; Schellenberg, Adachi, Purdy, & McKinnon, 2002), le contour (Dowling, 1978), ou la répétition de notes (Hébert, Peretz, & Gagnon, 1995). Soulignons que la contribution de ces facteurs n’est pas incompatible avec l’hypothèse de l’acculturation tonale. La musique occidentale tonale ne se réduit pas à la tonalité ; les principes mélodiques comme la proximité et le contour pré-existaient dans la musique occidentale à l’apparition de la tonalité, laquelle n’a fait que s’y greffer. L’organisation mélodique sera présentée dans la partie suivante, ainsi que l’organisation rythmique et métrique.