1.2.2.1. L’organisation mélodique

L’organisation mélodique de la musique est basée sur les intervalles entre les notes d’une mélodie, c’est-à-dire sur la taille et la direction (montante ou descendante) de ces intervalles. Le fait que la musique tonale soit basée sur une échelle fixe de hauteurs (i.e., 12 notes) limite le nombre d’intervalles utilisables. De plus, l’organisation mélodique est contrainte par des principes de Gestalt comme le principe de proximité ou le principe de bonne continuation (Dowling & Harwood, 1986). Ces principes d’organisation mélodique sont présents dans la musique occidentale depuis plus longtemps que le système tonal ; en effet, la musique modale (qui a précédé le système tonal) s’appuyait essentiellement sur la dimension mélodique. Les contraintes d’organisation mélodiques sont reflétées dans les régularités statistiques des mélodies (cf. Huron, 2006 pour une revue de ces statistiques). Parmi ces régularités statistiques, citons la prédominance des petits intervalles (principe de proximité), le fait que les intervalles larges sont plutôt des intervalles ascendants et les petits intervalles des intervalles descendants (principe de déclinaison), le fait que les intervalles descendants sont le plus souvent suivis par un autre intervalle descendant que par un intervalle ascendant (principe d’inertie), que les intervalles larges tendent à être suivis par un intervalle de direction opposée (régression mélodique), et que les phrases musicales tendent à avoir un contour mélodique en forme d’arche (Huron, 2006).

Comme l’organisation tonale, l’organisation mélodique influence la perception musicale. Dowling et ses collaborateurs (pour une revue, voir Dowling & Harwood, 1986) ont montré l’importance du contour mélodique dans une série d’études sur la mémorisation de mélodies. Lorsque des auditeurs devaient décider si une mélodie non-familière était la transposition exacte d’une mélodie précédemment entendue (i.e., si c’était bien la même mélodie, mais jouée plus aiguë ou plus grave), ils avaient tendance à juger à tort qu’elle était la transposition exacte de la mélodie précédente lorsque le contour mélodique était identique entre les deux mélodies mais que les intervalles avaient été modifiés. Les mêmes auteurs ont aussi montré que des mélodies familières restent reconnaissables si on modifie leurs intervalles mais que l’on préserve leur contour mélodique. D’autres études ont montré que le contour mélodique est un des premiers facteurs d’organisation musicale perçu : des bébés de 8-11 mois sont capables de discriminer des transpositions mélodiques exactes de « transpositions » mélodiques où le contour a été modifié, mais pas de « transpositions » où les intervalles ont été modifiés en préservant le contour (Trehub, Bull, & Thorpe, 1984).

L'influence du patron d'intervalles mélodiques sur la perception des événements musicaux a été théorisée par Narmour (1990). La théorie d'implication-réalisation de Narmour (modèle I-R) s'inspire des principes de la psychologie de la Gestalt pour formaliser des règles supposées gouverner les attentes des auditeurs pour une note en fonction de l'intervalle précédent. Cet intervalle précédent, qui génère les attentes des auditeurs, est l’intervalle implicatif. L’intervalle formé par la deuxième note de cet intervalle et la note suivante –attendue - est l’intervalle réalisé. Les cinq principes sur lesquels se base Narmour sont : la « direction liée au registre », la « différence d'intervalle », le « retour au registre », la « proximité », et la « fermeture ».Le principe de la « direction liée au registre » prédit que de petits intervalles impliquent une continuation dans la même direction alors que des grands intervalles impliquent un changement de direction. Le principe de la « différence d'intervalle » prédit que les petits intervalles impliquent une continuation par des intervalles de taille semblable alors que de grands intervalles impliquent une continuation par des intervalles plus petits. Le principe du « retour au registre » prédit une préférence pour les paires d’intervalles où le deuxième intervalle suit un mouvement inverse du premier (e.g., préférence pour les schémas ascendant-descendant et descendant-ascendant, de préférence avec des intervalles de même taille). Le principe de « proximité » prédit une préférence pour les petits intervalles réalisés. Le principe de « fermeture » prédit une préférence pour les mouvements où le contour se renverse et où l’intervalle réalisé est plus petit que l’intervalle implicatif.

Le modèle I-R a inspiré de nombreux travaux expérimentaux (Krumhansl, 1995; Krumhansl et al., 2000; Cuddy & Lunney, 1995; Schellenberg, 1996, 1997; Schellenberg et al., 2002). Bien que ces études aient montré que le modèle I-R expliquait assez bien les attentes des auditeurs, elles ont aussi montré qu’il pouvait être simplifié sans perte de puissance explicative (cf. 1.2.3.3).