1.2.3.1. Structuration hiérarchique de la musique: la TGMT

La Théorie Générative de la Musique Tonale (TGMT) de Lerdahl et Jackendoff (1983) s’inscrit dans une tradition de modèles de grammaires génératives dont l’origine est la théorie générative du langage de Chomsky (1968). Cette théorie propose un ensemble de règles formelles expliquant comment les auditeurs pourraient dégager la structure d’une pièce de musique sous forme d’une hiérarchie d’événements. La hiérarchie d’événements à laquelle aboutit la TGMT est à différencier de la hiérarchie tonale décrite au 1.2.1.1. La hiérarchie tonale correspond à un schéma abstrait de relations entre les hauteurs de notes, qui s’impose de la même façon pour toutes les pièces de musique d’une tonalité donnée, alors que la hiérarchie d’événements correspond à la hiérarchie spécifique aux événements d’une pièce donnée (event hierarchy : Bharucha, 1984). Cette hiérarchie d’événements intègre, dans une même structure hiérarchique, les structures d’organisation des dimensions de hauteur (hiérarchie tonale, organisation mélodique) et de temps (rythmique, métrique).

La TGMT hiérarchise les événements d’une pièce de musique en deux grandes phases : une phase de segmentation et une phase de réduction. La première phase réalise la segmentation temporelle de la pièce. Cette segmentation s’effectue en dégageant simultanément la structure métrique (i.e., l’alternance des temps forts et faibles) ainsi qu’une structure de regroupements d’événements (i.e., regroupements en sections, en phrases, en motifs). Une fois que la pièce est segmentée temporellement, des processus de réduction sont appliqués aux regroupements dégagés, en tenant compte de la structure métrique et de la stabilité tonale des événements. L’enchaînement de ces processus est schématisé Figure 1.2.5.

Figure 1.2.5. Représentation schématique de la TGMT. D’après Bigand, 1994.
Figure 1.2.5. Représentation schématique de la TGMT. D’après Bigand, 1994.

Les processus de réduction comparent l’importance relative des événements au sein d’un regroupement ou entre regroupements, et réduisent les événements comparés à l’événement le plus important. Les processus de réduction sont appliqués récursivement jusqu’à l’établissement d’une hiérarchie complète des événements, hiérarchie représentée sous forme d’arbre. Les processus de réduction sont au centre de la TGMT car l’hypothèse principale de cette théorie est que « l’auditeur s’efforce d’organiser tous les événements de la pièce en une structure cohérente unique, telle qu’ils soient entendus dans une hiérarchie d’importance relative » (Lerdahl & Jackendoff, 1983, p.106). Les processus de réduction proposent une méthode permettant d’établir cette hiérarchie (Figure 1.2.6 et 1.2.7).

Figure 1.2.6. Représentation d’une hiérarchie d’événements obtenue par réduction de la trame temporelle. D’après Lerdahl et Jackendoff, 1983 (p.115). Quatre niveaux hiérarchiques sont dégagés par réductions successives (du niveau le moins réduit au niveau le plus réduit : d, c, b, a).
Figure 1.2.6. Représentation d’une hiérarchie d’événements obtenue par réduction de la trame temporelle. D’après Lerdahl et Jackendoff, 1983 (p.115). Quatre niveaux hiérarchiques sont dégagés par réductions successives (du niveau le moins réduit au niveau le plus réduit : d, c, b, a).

Deux types de réduction sont postulées par la TGMT : la réduction de la trame temporelle et la réduction par prolongation. La réduction de la trame temporelle (Figure 1.2.6) hiérarchise les événements musicaux selon leur importance rythmique, métrique et tonale à l’intérieur d’un groupement d’événements, puis entre regroupements. La réduction par prolongation (Figure 1.2.7) hiérarchise les événements musicaux selon les mouvements de tension, de détente, de progression, et d’achèvement qui se créent entre événements. Les deux types de réductions nécessitent de l’information sur le niveau de stabilité tonale des événements pour déterminer l’importance relative de ces événements (« Conditions de stabilité », cf. la TPST au 1.2.3.2). La TGMT suppose donc que les auditeurs ont des connaissances tonales qu’ils utilisent afin de structurer leur écoute musicale.

1.2.7. Représentation d’une hiérarchie d’événements obtenue par prolongation. D’après Lerdahl et Jackendoff, 1983 (Fig. 10.11). Les branchements sans cercles indiquent une progression entre deux événements différents. Les branchements avec un cercle noir indiquent une prolongation faible créée par la répétition d’un événement sous une autre forme (e.g., une inversion d’accords). Les branchements avec un cercle blanc indiquent une prolongation forte créée par la répétition d’un événement à l’identique. Les mouvements de tensions et détentes créés sont les plus forts pour les progressions, puis pour les prolongations faibles, puis pour les prolongations fortes.
1.2.7. Représentation d’une hiérarchie d’événements obtenue par prolongation. D’après Lerdahl et Jackendoff, 1983 (Fig. 10.11). Les branchements sans cercles indiquent une progression entre deux événements différents. Les branchements avec un cercle noir indiquent une prolongation faible créée par la répétition d’un événement sous une autre forme (e.g., une inversion d’accords). Les branchements avec un cercle blanc indiquent une prolongation forte créée par la répétition d’un événement à l’identique. Les mouvements de tensions et détentes créés sont les plus forts pour les progressions, puis pour les prolongations faibles, puis pour les prolongations fortes.