Le modèle MUSACT

Le principe de fonctionnement de MUSACT est de calculer, pour chaque événement sonore, l’activation de cet événement en fonction des événements précédents et des régularités tonales représentées par le patron de connexions entre unités du réseau (cf. 1.2.3.2). Quand MUSACT est exposé à une séquence de musique, le niveau d’activation calculé pour chaque événement (note ou accord) peut être interprété comme reflétant l’importance de l’événement dans la hiérarchie tonale du contexte. Le calcul d’activation peut donc être utilisé pour modéliser l’influence du contexte tonal sur la perception musicale, et indirectement sur leurs attentes tonales. Un événement attendu devrait être associé à une activation élevée et un événement moins attendu à une activation moins élevée. Tillmann et al. (2000) ont ainsi pu simuler des résultats expérimentaux sur les attentes tonales des auditeurs.

Simulation de résultats de séquences d’accords

Les auteurs ont par exemple simulé les jugements de similarité obtenus par Bharucha et Krumhansl (1983). Ces derniers avaient exposé des auditeurs à des paires d’accords cibles précédés d’un court contexte tonal (enchaînement d’accords IV-V-I), et les auditeurs devaient juger la similarité des deux accords cibles sur une échelle de 1 à 7. Les paires d’accords cibles étaient des combinaisons d’accords appartenant aux tonalités de Do et Fa# Majeur, et la tonalité du contexte était manipulée pour être plus ou moins distante sur le cercle des quintes des tonalités de Do et de Fa# Majeur. Les jugements de similarité pour les paires dont les accords appartenaient à Do Majeur étaient les plus élevés lorsqu’ils étaient précédés d’un contexte en Do Majeur. À l’inverse, les paires d’accords appartenant à Fa# Majeur étaient jugées le plus similaire dans le contexte de Fa# Majeur. Cette expérience montrait que la similarité perçue de deux accords est proportionnelle à leur importance dans la hiérarchie tonale du contexte. Tillmann et al. (2000) ont simulé ces jugements de similarité en présentant à MUSACT les contextes tonals suivis du premier accord de chaque paire ; le niveau d’activation de l’unité représentant le deuxième accord de la paire était pris comme résultat de la simulation. L’analyse des activations des unités représentant les deuxièmes accords montre que MUSACT réussit à simuler les jugements de similarité des auditeurs : Quand les accords de la paire appartenaient à Do Majeur, ces activations étaient les plus élevées dans le contexte de Do Majeur, et quand les accords de la paire appartenaient à Fa# Majeur, elles étaient les plus élevées dans le contexte de Fa# Majeur.

Un autre exemple de données expérimentales simulées par Tillmann et al. (2000) est l’expérience de reconnaissance en mémoire (memory recognition) menée par Bharucha et Krumhansl (1983). Dans cette expérience, les auditeurs écoutaient une séquence de sept accords appartenant ou non à la même tonalité (séquence standard), suivie d’une autre séquence (séquence de comparaison) qui pouvait être soit identique soit légèrement différente (un accord modifié). Les auditeurs devaient juger si les deux séquence étaient identiques ou différentes. Les auditeurs réussissaient le mieux à reconnaître que les séquences étaient identiques lorsque la séquence standard était diatonique (i.e., les sept accords appartenaient à la même tonalité). Ils y arrivaient moins bien lorsque la séquence standard comptait un accord non-diatonique, et encore moins bien lorsque les accords de la séquence standard avaient été choisis au hasard dans différentes tonalités. Ce résultat montre que la reconnaissance de deux occurrences du même événement musical est plus facile lorsqu’il est plus important dans la hiérarchie tonale du contexte. Lorsque les séquences standard et de comparaison étaient différentes, les performances des auditeurs à juger les séquences de comparaison différentes étaient inversement reliées à la hiérarchie tonale : le nombre de réponses correctes était plus grand lorsque l’accord modifié dans la séquence de comparaison était non-diatonique que lorsqu’il était diatonique. Ce résultat montre que les accords diatoniques, qui sont intégrés dans un cadre tonal, sont plus facilement confondus entre eux que des accords non-diatoniques, qui n’appartiennent pas au cadre tonal. Pour simuler ces résultats, Tillmann et al. (2000) ont exposé MUSACT aux séquences standard (certaines étant modifiées pour que l’accord potentiellement changeant soit toujours en 4e position) suivies des trois premiers accords des séquences de comparaison. L’activation du 4e accord des séquences de comparaison était lue en sortie du modèle. Pour les séquences identiques, le niveau d’activation était corrélé positivement avec le nombre de réponses correctes dans les conditions expérimentales « identiques » : MUSACT était en accord avec une meilleure reconnaissance des événements importants dans la hiérarchie tonale comme étant « identiques » que les événements moins importants dans la hiérarchie tonale. À l’inverse, pour les séquences différentes, le niveau d’activation était corrélé négativement avec le nombre de réponses correctes dans les conditions expérimentales « différentes » : MUSACT était donc en accord avec une plus grande confusion en mémoire des événements les plus importants dans la hiérarchie tonale.

Un troisième exemple de résultats expérimentaux simulés avec MUSACT concerne les résultats d’amorçage harmonique (Bharucha & Stoeckig, 1987 ; Tekman & Bharucha, 1998 ; Bigand & Pineau, 1997 ; Tillmann et al., 1998). L’amorçage harmonique consiste à présenter un contexte amorce constitué d’un ou plusieurs accords, suivi d’un accord cible dont la relation tonale avec le contexte est manipulée. Les auditeurs effectuent une tâche de jugement sur l’accord cible (par exemple : juger s’il est consonant ou dissonant). Les résultats de ces études montrent que les auditeurs effectuent plus correctement et plus rapidement la tâche lorsque l’accord cible est relié tonalement au contexte : l’accord cible est dit amorcé par le contexte tonal. Les études d’amorçage simulées par Tillmann et al. (2000) sont de deux types : Bharucha et Stoeckig (1987) ainsi que Tekman et Bharucha (1998) ont utilisé des contextes amorces courts (1 seul accord), alors que Bigand et Pineau (1997) et Tillmann et al. (1998) ont utilisé des contextes amorces longs (séquences amorces de 7 accords). Tillmann et al. (2000) ont exposé MUSACT aux contextes amorces et recueilli les activations des unités correspondant aux accords cibles : ces activations étaient plus forte pour les cibles reliées au contexte que pour les cibles non reliées. MUSACT simule dont la facilitation de traitement d’un accord cible amorcé par un contexte auquel il est relié. Dans ce travail de thèse, MUSACT sera appliqué à la simulation d’effets d’amorçage tonal au niveau des notes (amorçage mélodique) (Chapitre 2).

Simulation de résultats de mélodies

MUSACT peut également simuler des résultats concernant des séquences mélodiques. Tillmann et al. (2000) ont simulé les résultats de l’expérience de notes sondes de Krumhansl et Kessler (1982). Dans cette expérience, les participants écoutaient un contexte tonal suivi de chacune des 12 notes de la gamme chromatique et devaient juger sur une échelle de 1 à 7 le degré de concordance de ces notes (notes sondes) avec le contexte. Le profil des jugements obtenus suit la hiérarchie tonale, avec notamment les jugements les plus hauts pour la tonique, suivie du 3ème et du 5ème degré, puis des autres notes diatoniques, et finalement des notes non-diatoniques. Pour simuler ces résultats, Tillmann et al. (2000) ont présenté au réseau un contexte d’un seul accord (Do Majeur ou do mineur) et ont recueilli les activations des 12 notes chromatiques à l’équilibre du réseau. Les activations recueillies corrélaient avec les profils obtenus par Krumhansl et Kessler pour les tonalités de Do Majeur et do mineur : MUSACT simulait dont correctement les jugements des auditeurs.

MUSACT peut également simuler des résultats d’expérience de reconnaissance en mémoire pour des mélodies. Tillmann et al. ont simulé l’expérience de Dowling (1978) dans laquelle les auditeurs faisaient des jugement « identiques ou différents » sur des paires de mélodies. Les mélodies standard étaient suivies de mélodies de comparaison qui étaient soit des transpositions exactes (i.e., la même mélodie jouée dans une autre tonalité) soit des transpositions inexactes. Dans le cas des transpositions inexactes, les mélodies de comparaison avaient soit le même contour mélodique que les mélodies standard mais un intervalle de taille différente, soit le même contour mais des intervalles choisis aléatoirement, soit un contour et des intervalles différents. Les performances des sujets ne différaient pas du hasard pour la condition où seul un intervalle était modifié, s’amélioraient pour la condition où les intervalles étaient choisis au hasard mais le contour préservé, et étaient les meilleures pour la condition où le contour et les intervalles étaient modifiés. Ces résultats suggèrent que les intervalles et le contour sont important pour la mémorisation et la reconnaissance de mélodies. Pour simuler ces résultats, Tillmann et al. (2000) ont présenté au réseau les séquences standard immédiatement suivies des séquences de comparaison, puis ils ont corrélé les activations de la couche d’unités de notes dans la condition « transposition exacte » avec les activations de cette couche dans chacune des trois conditions « transposition inexacte ». Ces corrélations ont été interprétées comme reflétant la capacité du réseau à différencier les transpositions exactes et inexactes (une corrélation élevée indiquerait que le réseau ne différencie que faiblement les deux conditions). Les valeurs de corrélations observées étaient les plus fortes dans la condition de séquence de comparaison où seul un intervalle était modifié, diminuaient pour la condition où les intervalles étaient choisis au hasard mais le contour préservé, et étaient les plus faibles pour la condition où le contour et les intervalles étaient modifiés. Là encore, MUSACT parvenait donc à simuler les résultats expérimentaux.

Enfin, MUSACT a été utilisé dans ce travail de thèse pour simuler les effets de contexte obtenus dans des paradigmes d’amorçage tonal avec des mélodies, où la manipulation de la fonction tonale des notes cibles étaient effectuées en changeant seulement une note dans le début des mélodies. Ceci montre que MUSACT peut simuler des attentes perceptives sur la base d’indices tonals peu nombreux, et peut donc simuler les connaissances fines des auditeurs (cf. Etude I et II).