Perception de la hauteur et indices psychoacoustiques

L’influence du contexte sur la perception de la hauteur de sons a été étudiée dès les années 1950 par des approches psychoacoustiques. Le principe général de ces approches était de manipuler, par la présentation d’un contexte, l’attention des auditeurs pour une hauteur particulière. Il a ainsi été montré que focaliser l’attention des auditeurs sur une hauteur particulière les rendait moins sensibles aux autres hauteurs. La première étude à avoir mis ce phénomène en évidence date de 1954 : Tanner et Norman ont montré que focaliser l’attention des auditeurs sur la détection d’un son pur de fréquence 1000 Hz (par une tâche à choix forcé parmi quatre intervalles) dégradait les performances de détection d’une hauteur voisine (un son pur de fréquence 1300 Hz). Ce phénomène de sélectivité attentionnelle a été étudié plus systématiquement par Greenberg et Larkin (1968), qui ont développé un paradigme (« probe-signal method ») consistant à orienter l’attention des auditeurs en manipulant la probabilité d’occurrence des hauteurs à traiter. Leur paradigme utilisait une tâche de détection d’un son cible dans du bruit et une procédure à choix forcé. Un essai était composé de deux intervalles temporels contenant un fond sonore de bruit blanc et, pour l’un des deux, un son cible en plus du bruit blanc. Les auditeurs devaient indiquer lequel des deux intervalles contenait le son cible. L’attention des auditeurs était manipulée par la présentation d’un indice sonore avant chaque essai : la fréquence de cet indice correspondait à la fréquence du son cible dans 70-80% des essais et variait dans les 20-30% des essais restants. Le résultat principal des études ayant utilisé ce paradigme (cf. Scharf, 1998 pour une revue) est que les performances des auditeurs sont maximales à la fréquence de l’indice - la fréquence rendue attendue par le contexte - et qu’elles se dégradent pour les fréquences inattendues en fonction de la distance entre la fréquence du son cible et la fréquence de l’indice sonore. Ce résultat a été interprété en termes de filtres attentionnels : le contexte de présentation créerait un filtre centré sur la fréquence attendue, et les sons de fréquence comprise dans la bande-passante de ce filtre seraient mieux perçus que les sons dont la fréquence est en dehors de ce filtre (Greenberg & Larkin, 1968 ; Scharf, 1998 ; Scharf, Quigley, Aoki, Peachey, & Reeves, 1987).

La perception de la hauteur est également influencée par des contextes de présentation plus complexes qu’une simple répétition de la note cible. Hafter, Schlauch, et Tang (1993) ont utilisé pour guider l’attention des indices sonores qui, au lieu d’avoir la même fréquence que les cibles, étaient à la quinte des sons cibles (la fréquence des sons cibles était fixée aux 2/3 de la fréquence des indices). Les résultats obtenus indiquent qu’un filtrage attentionnel peut être entraîné par des indices sonores indirects (i.e., différents des sons cibles). L’interprétation des auteurs est que les auditeurs ont pu compenser l’incertitude que l’absence d’indice direct faisait peser sur la fréquence des cibles par l’utilisation de la relation musicale de quinte entre indices et cibles en tant qu’indice indirect. Le statut cognitif spécifique de la relation de quinte (due à son importance dans la musique occidentale) aurait déterminé la focalisation attentionnelle des auditeurs sur la fréquence des cibles.

Enfin, la perception de la hauteur est influencée par des contextes plus longs. Howard, O’Toole, Parasuraman, et Benett (1984) ont utilisé des séquences montantes ou descendantes de 12 sons purs séparés deux à deux par des intervalles de 150 Hz (intervalles égaux). Les auditeurs écoutaient les séquences dans du bruit et devaient détecter si le 11ème son des séquences était présent ou absent. Dans 20% des essais, la fréquence de ce 11ème son ne respectait pas le patron d’intervalles de la séquence. Les 11èmes sons étaient mieux détectées lorsque leur fréquence respectait le patron d’intervalles, ce qui montre qu’un patron abstrait d’intervalles est un indice suffisant pour guider l’attention et influencer la perception de la hauteur.