Perception de la hauteur en contexte : corrélats électrophysiologiques

L’utilisation de l’électroencéphalographie (EEG) a permis de distinguer différents types de processus associés à la perception de petites déviations de hauteur de note (i.e., des déviations de moins d’un demi-ton, qui ne constituent pas un changement de note musicale puisque le plus petit intervalle utilisé en musique occidentale est le demi-ton). L’EEG consiste à recueillir l’activité électrique à la surface du scalp avec une très bonne résolution temporelle (mais une faible résolution spatiale). Les études sur la perception musicale ont principalement utilisé la méthode des potentiels évoqués (PE), qui consiste à moyenner un nombre important d’enregistrements électriques évoqués par un type de stimulus afin de faire émerger du bruit de fond des pics de potentiel électriques associés au type de stimulus étudié. L’amplitude et la latence de ces pics de potentiel sont ensuite analysés en fonction du type de stimulus.

Un premier type de processus observé en réponse à des déviations de hauteur concerne les processus de mémoire. Lorsqu’une note était présentée de manière répétée pendant une longue séquence et que, de temps en temps, des déviations de hauteur de la note étaient introduites (déviations de 4,2%, 2,1%, et 0,76%, soit un demi-ton ou moins), ces déviations de hauteur entraînaient l’apparition d’un potentiel négatif fronto-central précoce (entre 100 et 250 ms suivant les études), la MMN (mismatch negativity) (Tervaniemi, Just, Koelsch, Widmann, & Schröger, 2005). La MMN était évoquée automatiquement, c’est-à-dire même quand l’attention des auditeurs était distraite des stimuli (i.e., les auditeurs regardaient un film silencieux et devaient ignorer les stimuli sonores). De manière générale, la MMN est évoquée quand un stimulus rare (et donc « déviant ») diffère du stimulus le plus fréquent (stimulus « standard ») (Näätänen & Winkler, 1999). La MMN est interprétée comme résultant de la présence d’une trace en mémoire sensorielle du stimulus standard et de la comparaison entre le stimulus déviant et cette trace en mémoire (Schröger, 1997). Une MMN a également été observée en réponse à de petites déviations de hauteur (1/4 de ton) dans des contextes mélodiques tonals (Brattico, Tervaniemi, Näätänen, & Peretz, 2006). Ce résultat indique que les auditeurs ont des connaissances implicites des structures tonales de base, et notamment qu’ils ont intégré le fait que le plus petit intervalle possible est le demi-ton. Ici, la réponse MMN ne résultait pas de la comparaison entre la note « déviante » et une trace en mémoire sensorielle d’une note « standard », mais probablement de la comparaison entre la note « déviante » et la représentation en mémoire de propriétés abstraites de la musique tonale (i.e., la taille des intervalles). Ces résultats indiquent que le contexte influence la perception de petites déviations de hauteur au niveau de traitements impliquant la mémoire sensorielle et des représentations abstraites. Cette influence s’exercerait dans des conditions artificielles de notes répétées comme dans des conditions plus musicales, et de manière automatique (i.e., préattentive).

Les études de Tervaniemi et al. (2005) et de Brattico et al. (2006) ont observé des MMNs en réponse aux déviations de hauteur lorsque l’attention des participants était distraite des stimuli, mais ces études incluaient aussi des conditions où l’attention des participants était orientée sur les stimuli. Les participants devaient détecter les déviations de hauteur (Tervaniemi et al., 2005) ou juger la congruence des mélodies (congrues/incongrues, Brattico et al., 2006). Dans ces conditions d’écoute « active », la MMN évoquée par les déviations de hauteur était suivie d’un complexe N2b-P3, c’est-à-dire de la succession d’un potentiel négatif vers 200-350 ms et d’un potentiel positif vers 300-600 ms. Le complexe N2b-P3 représente un deuxième type de processus : il serait associé à des processus attentionnels de prise de décision (Woldorff, 1999). Il refléterait la détection consciente des déviations de hauteur et la catégorisation de ces stimuli en tant que « déviant » ou « incongrue » pour les tâches comportementales. Un complexe similaire (N300-P600) a été observé dans des études comparant les performances de détection de déviations de hauteur de musiciens et de non-musiciens (Besson, Schön, Moreno, Santos, & Magne, 2007). Besson et al. (2007) rapportent également que donner six mois de formation musicale à des enfants de 8 ans améliore leur détection de petites déviations de hauteur et fait émerger une réponse N300-P600.

L’EEG a permis d’associer la perception de la hauteur en contexte à des processus de mémoire et à des processus attentionnels de prise de décision. Toutefois, les études présentées dans cette partie n’ont pas associé la manipulation de hauteur à une manipulation des régularités tonales. La partie suivante (1.3.2.2) présentera des études EEG qui ont étudié les corrélats électrophysiologiques du traitement des régularités tonales.