La famille des P3 (P3a, P3b, P600)

Enfin, des potentiels positifs de la famille des P3 ont été observés en association à des violations des régularités du système tonal. Trois types de P3 ont été distingués en électrophysiologie : la P3a, la P3b (parfois appelée P3 sans précision, notamment dans le complexe N2b-P3 vu au 1.3.2.1), et la P600 (aussi appelée LPC, pour late positive component). Ces trois types de P3 ont été observés en réponse à des violations de régularités du système tonal. La P3a est le type le plus précoce (vers 200-300 ms), est fronto-centrale, et refléterait la capture involontaire de l’attention par un stimulus « déviant ». La P3b est plus tardive (vers 300-600 ms), est plutôt pariétale, et refléterait des processus de prise de décision (voir Friedman, Cycowicz, & Gaeta, 2001 pour une revue). La P600 serait une P3b retardée (vers 600-900 ms), qui refléterait également des processus de prise de décision.

Une P3a et une P3b ont été observées par Koelsch et Mulder (2002) en réponse aux accords déviants présentés dans des extraits de sonates pour piano (cf. sous-partie précédente). Une distinction P3a/P3b a également été observée par Janata (1995) : Des séquences de quatre accords étaient présentées, et les trois premiers accords (I, IV, V) généraient une forte attente pour l’accord de tonique (I). Les séquences étaient terminées soit par l’accord le plus attendu (tonique), soit par un accord moins attendu (le relatif mineur de l’accord de tonique), soit par un accord inattendu (accord d’une tonalité éloignée). Les participants devaient soit écouter les séquences sans répondre soit juger si le dernier accord était la meilleure résolution possible. Deux types de positivités étaient évoquées par les accords inattendus : une P3a (centrale, maximale vers 300 ms) et une P3b (pariétale, maximale vers 450 ms). La P3b, mais pas la P3a, était sensible au degré de la violation tonale, avec une amplitude plus forte pour les accords d’une tonalité éloignée que pour les accords d’une tonalité proche. De plus, la P3b n’était observée que dans la condition où les participants devaient répondre. Ces résultats sont en accord avec l’interprétation d’une P3a comme reflétant la capture automatique de l’attention et une P3b qui refléterait des processus de décision liés à la tâche.

Des P600 (ou LPC) ont été observées par Besson et Faïta (1995) et par Patel, Gibson, Ratner, Besson, et Holcomb (1998). Dans l’étude de Patel et al. (1998), les régularités du système tonal étaient manipulées en introduisant, au milieu d’une séquence d’accords, un accord « déviant » n’appartenant pas à la tonalité de la séquence. Cet accord appartenait soit à une tonalité proche soit à une tonalité éloignée. Les participants devaient juger si la séquence était acceptable ou pas en se basant sur la structure harmonique des séquences. Une P600 était observée en réponse aux accords déviants, et cette P600 était plus grande pour les accords déviants appartenant à une tonalité éloignée que pour les accords déviants appartenant à une tonalité proche de la tonalité de la séquence. Les accords déviants évoquaient également une négativité antérieure droite entre 300 et 400 ms (right anterior temporal negativity, RATN) similaire à une ERAN. Comme la P600, la RATN était plus large pour les déviants appartenant à une tonalité éloignée que pour les déviants appartenant à une tonalité proche de la tonalité de la séquence.

Dans l’étude de Besson et Faïta (1995), des mélodies familières et non familières étaient présentées, dont la note finale était tonalement attendue (note « congrue »), tonalement moins attendue (note « diatonique »), ou bien n’appartenait pas à la tonalité de la mélodie (note « non-diatonique »). Les participants devaient juger si les mélodies étaient familières ou non, dire s’ils les reconnaissaient, et juger si la dernière note des mélodies était congrue ou incongrue. Pour les mélodies familières, les notes finales incongrues « diatoniques » et « non-diatoniques » évoquaient une LPC (plus large pour les notes non-diatoniques que pour les diatoniques). Pour les mélodies non-familières, seules les notes non-diatoniques (i.e., l’irrégularité la plus forte) évoquaient une LPC. Une LPC était également observée en l’absence de tâche à effectuer sur les mélodies, lorsque les participants avaient pour seule consigne d’écouter les mélodies attentivement. L’amplitude de la LPC était alors plus faible que quand les participants devaient faire une tâche sur les mélodies, et la LPC n’était plus évoquée que par les notes non-diatoniques, même pour les mélodies familières. Ce résultat indique que la P600 ne reflète qu’en partie des processus de décision liés à la tâche ; la P600 refléterait également des différences de traitement perceptif entre les notes finales congrues et non-diatoniques.

Les études ayant observé des P600 ne permettent pas d’affirmer que les traitements indexés par la P600 étaient des traitements de type syntaxiques (i.e., liées aux connaissances des régularités tonales). Dans ces études, les manipulations des régularités tonales étaient en partie confondues avec des manipulations de consonance. Les accords « déviants » de Janata (1995) et Patel et al. (1998), de même que les notes non-diatoniques de Besson et Faïta (1995), n’étaient pas seulement non-reliés tonalement mais aussi dissonants par rapport au contexte. Une étude de Regnault, Bigand, et Besson (2001) a proposé de dissocier les potentiels associés à une déviance acoustique (consonant/dissonant) des potentiels associés à une déviance tonale (relié/non-relié). Les séquences d’accords utilisés en amorçage par Bigand et Pineau (1997) ont été réutilisées. Ces séquences comptaient huit accords, les deux derniers réalisant soit une progression V-I (condition tonalement reliée) soit une progression I-IV (condition tonalement moins reliée). Le dernier accord était soit consonant (I ou IV), soit rendu dissonant par altération de la quinte (montée d’un demi-ton). Les participants devaient juger le degré de consonance/dissonance du dernier accord. Une P3a et une LPC ont été observées : la P3a était associée à la manipulation de relation tonale (plus large pour les accords IV, moins reliés au contexte, que pour les accords I), alors que la LPC était associée à la manipulation de déviance acoustique (plus large pour les accords dissonants que pour les accords consonants). Ce résultat suggère que la LPC observée en l’absence de tâche par Besson et Faïta (1995) reflétait des traitements perceptifs de déviance acoustique (et non pas des traitements de type syntaxique). Dans l’étude de Regnault et al. (2001), la LPC reflétait probablement à la fois des traitements perceptifs de la déviance acoustique et des processus de décision liés à la tâche de jugement de consonance/dissonance. Au contraire de la LPC, la P3a était modulée par la relation tonale : elle reflétait probablement une capture involontaire de l’attention par les notes moins reliées tonalement, et donc moins attendues.