Contribution sur la finesse des connaissances implicites tonales

L’étude, via le paradigme d’amorçage, des attentes tonales en contexte long s’est limitée à comparer la facilitation de traitement de l’accord de tonique par rapport à l’accord de sous-dominante (Bigand & Pineau, 1997 ; Bigand et al., 2003), de dominante (Tillmann, Janata, Birk, & Bharucha, 2008), ou par rapport à des accords hors tonalité (Tillmann et al., 1998, 2003). La comparaison d’accords de tonique par rapport à des accords différents de la tonique limite la portée des attentes cognitives mises en évidence par ces études pour deux raisons. La première est que la tonique est l’événement le plus important de la hiérarchie tonale, qu’elle s’apparente dans une pièce de musique à un point de référence cognitif (au sens de Rosch, 1975), et que pour cette raison les attentes pour la tonique par rapport aux autres degrés tonals pourraient être particulièrement fortes. Utiliser deux degrés diatoniques différents de la tonique permettait de tester si les attentes tonales des auditeurs étaient différenciées de façon suffisamment fine pour qu’un effet d’amorçage soit observable. La deuxième raison est que les études d’amorçage ont placé la note cible à la fin d’un contexte. Or, la tonique est l’événement conclusif quasi-obligatoire à la fin d’une pièce de musique. Dans les expériences d’amorçage, les auditeurs développent probablement des attentes pour la tonique parce qu’ils savent qu’ils vont juger l’événement final de la séquence, et ces attentes se confondraient avec les attentes liées à la hiérarchie tonale (voir cependant Tillmann & Marmel, soumis, pour des arguments montrant que ces attentes temporelles ne seraient pas déterminantes dans l’observation des effets d’amorçage). L’Etude II propose une réponse à ces deux critiques en utilisant un contraste plus fin de degrés tonals : la médiante (le troisième degré, condition reliée) par rapport à la note sensible (le septième degré, condition non reliée). Deux expériences d’amorçage ont permis d’observer une facilitation de traitement pour les médiantes par rapport aux sensibles, ce qui indique que les auditeurs développent des attentes tonales fines, c’est-à-dire différenciées pour deux degrés tonals assez proches dans la hiérarchie tonale. Ce résultat souligne la finesse des connaissances implicites des auditeurs.

Par ailleurs, les Etudes I et II soulignent la forte capacité des auditeurs à extraire un cadre tonal de leur contexte musical. Dans ces études, les auditeurs avaient moins d’indices tonals à leur disposition que les participants aux expériences d’amorçage harmonique car les mélodies sont des séquences monophoniques alors que les séquences d’accords sont polyphoniques. De plus, les mélodies des conditions « relié » et « non relié » ne différaient que par une note (éventuellement répétée). Les effets d’amorçage observés indiquent donc que très peu d’indices tonals sont nécessaires à l’activation des connaissances tonales des auditeurs. Qui plus est, aucune différence liée au niveau d’expertise musicale (i.e., participants plus ou moins musiciens) n’a été observée dans les expériences d’amorçage de ces deux études. Ces études soulignent donc la force de l’acculturation tonale.