4.1.3. Perspectives

Nature de l’influence des connaissances tonales

Finesse des attentes tonales

L’Etude II a montré que les auditeurs développent des attentes tonales différenciées entre le 3ème degré (médiante) et le 7ème degré de la gamme (note sensible). Ce résultat approfondit notre compréhension des connaissances des attentes tonales des auditeurs en soulignant leur finesse, mais il resterait à montrer l’existence d’attentes différenciées pour les autres degrés de la gamme, afin de montrer que les attentes des auditeurs sont graduées d’une manière qui reflète la hiérarchie tonale. Systématiser l’amorçage tonal aux autres degrés de la gamme permettrait d’approfondir nos connaissances sur le degré « d’expertise implicite » des auditeurs musiciens comme non-musiciens, dans la lignée des études qui ont montré que les musiciens et les non-musiciens partagent un certain nombre de capacités musicales (cf. 4.1.1 et Bigand & Poulin-Charronnat, 2006 pour une revue). Certes, la méthode de la « note sonde » (Krumhansl, 1990) a permis d’établir des profils tonals qui indiquent que les auditeurs perçoivent les événements musicaux en contexte d’une manière qui reflète la hiérarchie tonale. Cependant, cette méthode fait appel à des jugements explicites, donc soumis à l’influence des connaissances explicites des auditeurs, et les jugements demandés portent sur un traitement global du stimulus auditif (la note sonde n’étant pas jugée en soi mais par rapport à la façon dont elle s’accorde avec son contexte). De plus, les contextes utilisés avec la méthode de la « note sonde » n’étaient pas ou peu contrôlés pour faire la différence entre influence des attentes cognitives et influence des attentes sensorielles. L’utilisation du paradigme d’amorçage permet de minimiser l’influence des connaissances explicites différenciant musiciens et non-musiciens et de se focaliser sur l’influence des connaissances implicites, similaires pour les musiciens et les non-musiciens (Bigand & Poulin-Charronnat, 2006). L’amorçage est donc un meilleur outil que la méthode de la « note sonde » pour tester si « l’expertise implicite » des musiciens et non-musiciens va jusqu’au développement d’attentes perceptives graduées selon la hiérarchie tonale.

En l’absence d’études d’amorçage contrastant l’ensemble des degrés tonals, nous avons calculé les tailles des effets d’amorçage (calcul du d de Cohen, 1988) dans les études Etude I, II, et III. Le d de Cohen est la différence entre les moyennes des conditions, exprimée en proportion d’écart-type. Ce calcul permet de différencier des effets forts (d > .80), moyens (.50 < d < .80), et faibles (.20 < d < .50). Les données des tâches de jugement d’intonation des Etudes II et III ont montré que l’amorçage mélodique du 3ème degré (médiante) par rapport au 7ème degré (note sensible) est un effet faible (d = .40) alors que l’amorçage, dans le cadre de mélodies quasi-identiques, du 1er degré (tonique) par rapport au 4ème (sous-dominante) est un effet fort (d = .97). Ceci indique que les attentes tonales seraient de force plus proches entre 3ème et 7ème degré qu’entre 1er et 4ème degré. Le 7ème degré étant le moins stable dans la hiérarchie tonale, on aurait pu s’attendre à une différence de taille d’effets moins grande (e.g., un effet fort entre 1er et 4ème degrés et moyen entre 3ème vs. 7ème degrés). L’observation d’un effet beaucoup plus fort pour l’amorçage 1er vs. 4ème degré que pour l’amorçage 3ème vs. 7ème degré pose de nouveau la question du statut particulier de la tonique en tant que point de référence cognitif et de degré spécialement attendu à la fin d’une séquence.