4.2.1. Etat préalable des connaissances

Le paradigme d’amorçage harmonique a permis d’observer une influence des attentes tonales sur des traitements musicaux plus complexes que le traitement de la hauteur, comme la consonance ou le timbre d’un accord (Bigand et al., 2003 ; Tillmann et al., 2006). Par contre, l’utilisation de séquences d’accords ne permettait pas d’étudier la perception de la hauteur d’une note simple, au contraire des mélodies construites pour cette thèse. Les études d’amorçage harmonique ont montré que l’influence des attentes tonales ne se limite pas à des traits musicaux : des influences sur des traitements langagiers et visuels ont été observées. Lorsque les séquences d’accords étaient chantées avec des phonèmes, l’identification du phonème chanté sur l’accord cible était facilité par la relation tonale (Bigand et al, 2001). Lorsque les séquences d’accords étaient chantées avec des phrases verbales, l’amorçage sémantique du dernier mot était modulé par la relation tonale du dernier accord sur lequel il était chanté (Poulin-Charronnat et al., 2005). L’amorçage tonal modulait également la reconnaissance visuelle de formes géométriques présentées en synchronie avec les accords (Escoffier & Tillmann, 2008). Ces résultats indiquent que les attentes tonales ont un spectre d’influences perceptives très large, ce qui suggère que les attentes tonales mettent en jeu des processus attentionnels (et non pas des processus qui seraient spécifiques à la musique). Un objectif de ce travail de thèse était de tester si ces processus attentionnels avaient une influence sur un traitement de plus bas niveau que les traitements testés jusqu’à présent : le traitement de la hauteur. Des études comportementales utilisant d’autres méthodologies que l’amorçage ont montré une influence des attentes tonales sur la perception de la hauteur, mais ces études utilisaient des séquences où les influences sensorielles n’étaient pas contrôlées (Francès, 1958, Exp.2) et étudiaient les attentes tonales à un niveau plus grossier (Lynch & Eilers, 1992 ; Warrier & Zatorre, 2002) (voir partie 1.3.2.1).

L’importance des processus attentionnels dans l’audition a été soulignée par deux grand types d’approches : des approches de psychoacoustique dans la lignée de Tanner et Norman (1954) et des approches d’EEG dans la lignée de Hillyard, Hink, Schwent, & Picton, (1973). Ces deux types d’approches ont en commun d’utiliser des situations expérimentales moins écologiques (sons purs, très courts, présentés dans du bruit, …) que l’écoute de mélodies utilisée dans ce travail de thèse. L’approche psychoacoustique a été présentée dans la partie 1.3.2.1. Dans la plupart de ces études, l’attention des auditeurs était orientée sur une hauteur particulière en jouant sur la probabilité des sons présentés ou par la présentation d’indices sonores, et il était observé que les performances de détection d’une hauteur dans du bruit blanc diminuaient au fur et à mesure que s’accroissait la distance entre la hauteur à détecter et la hauteur sur laquelle l’attention était orientée (Greenberg & Larkin, 1968 ; Scharf, 1998). L’effet de l’attention était interprété comme indiquant l’existence de filtres attentionnels, centrés sur la hauteur sur laquelle l’attention est orientée, et qui faciliteraient la perception des hauteurs proches de la hauteur centrale et inhiberaient la perception des hauteurs éloignées. L’approche électrophysiologique complète les résultats de la psychoacoustique en montrant l’existence de mécanismes de filtrage attentionnels précoces, modulant le traitement de la hauteur à différentes étapes de l’analyse sensorielle, du cortex jusqu’à la cochlée (pour une revue, voir Giard, Fort, Mouchetant-Rostaing, & Pernier, 2000). L’approche électrophysiologique utilisait également des situations expérimentales très artificielles, comme des tâches d’écoute dichotique où des séries de sons purs brefs sont présentées dans chaque oreille à des fréquences différentes et où les participants doivent effectuer une tâche sur les sons arrivant dans une oreille tout en ignorant l’autre oreille (Hillyard, Hink, Schwent, & Picton, 1973 ; Woldorff et al., 1993).

L’influence de processus descendants sur le traitement de la hauteur a aussi été étudiée avec des stimuli musicaux, plus écologiques, en comparant la sensibilité de musiciens et non-musiciens à des violations de hauteur en EEG (cf. partie 1.3.2.1). Les musiciens sont plus sensibles que les non-musiciens à des petites déviations de hauteur (Koelsch et al., 1999, Tervaniemi et al., 2005), et cet avantage n’est pas limité au traitement de hauteurs de notes de musique : les musiciens sont également plus sensibles à des déviations de la hauteur de mots parlés (Besson et al., 2007). Le but de ce travail de thèse était d’étendre l’effet sur le traitement de la hauteur de « l’expertise explicite » - qui différencie musiciens et non-musiciens », à un effet de « l’expertise implicite » liée aux connaissances tonales, qui est commune aux musiciens et aux non-musiciens.