II Giraudoux comme romancier du réel

Le narrateur étant à la fois un « simple personnage grammatical » et « une sorte d’infini », il ne peut que décrire une totalité du monde, composée d’innombrables choses juxtaposées en « désordre ». André Job suggère à cet égard que la préciosité, reproche de ceux qui enfermaient « la poétique de Giraudoux dans un dispositif abstrait et métaphysique », est un terme à reconsidérer dans le contexte de « la prépondérance du détail dans la poétique giralducienne ».

‘[…] nous pourrons peut-être éviter les ornières de certains « chemins battus » de la critique giralducienne et céder au plaisir de redécouvrir l’essentiel de ce qui a fait le métier d’écrivain de cet auteur en revenant au « menu », à l’infiniment petit, à condition justement de considérer le détail comme autre chose qu’un oripeau esthétique ou philosophique, et de le replacer au centre d’un authentique « faire » poétique. Et peu nous importe que l’on ait appelé cela « préciosité » […]. 78

Comment le détail, qui « vise à recomposer le monde selon une autre logique 79  » que celle de la clarté et de la lucidité, peut-il former le fil conducteur du récit ? Nous tenterons de mettre en relation le mot « précieux » et la prédilection pour le détail chez Giraudoux, puis d’éclairer les procédés par lesquels la réalité de chaque petite chose décrite ressort à la surface du récit ; nous formulerons enfin une hypothèse sur la fluidité cosmique du « moi » narratif de Giraudoux et sur la nécessité de la prolifération du détail dans ses textes romanesques, tout en examinant la consistance de l’inspiration autobiographique de l’auteur qui se manifeste dans la représentation des menus détails.

Cette étape est indispensable pour ce présent travail. Dans le chapitre suivant, nous parlerons de l’adaptation de Siegfried et le Limousin pour le théâtre et des débuts de Giraudoux dramaturge. Pour mettre en lumière les effets de l’adaptation et entamer une réflexion sur l’intégration de traits « épiques » dans l’écriture théâtrale de Giraudoux, il faut non seulement que la forme narrative soit examinée – c’est ce que nous venons de faire – mais aussi que les thèmes dont la conscience narratrice parle souvent soient énumérés.

Notes
78.

André Job, « Présentation », in Cahiers Jean Giraudoux 34, « La poétique du détail : autour de Jean Giraudoux », p. 13.

79.

Ibid, p. 15.