2. Abondance de détails

Toujours selon Jacques Dubois, une des caractéristiques du « roman du réel » est paradoxale : il est à la fois « total » et « détaillé » : « le roman du réel totalise. Mais il ne le fait bien qu’en détaillant 96  ». Le critique signale par ailleurs que le réalisme « ordinaire », c’est-à-dire celui que Giraudoux oppose à son écriture irréaliste, avait une tendance « maniaque et quelque peu collectionneuse ». Chose curieuse, notre écrivain anti-réaliste a une manie semblable, comme Florence Delay le souligne :

‘Ce qu’il déduit par observation et par imagination de la surface des choses, des êtres, part souvent d’un détail. Le bout d’un cigare ou un timbre-poste conduit plus sûrement au secret de l’individu qu’une fausse introspection. Il suffit de les suivre. Une main sur le fermoir d’un collier dévoile un sentiment. La haine qu’éprouve Clytemnestre envers son époux ? C’est le petit doigt d’Agamemnon qui en est responsable. En quoi Ulysse est-il redoutable ? En évoquant la paupière d’Andromaque à la fin de sa scène avec Hector. C’est une feinte, une ruse, un effet de sortie, un rond de jambe, un mensonge : Andromaque ne peut pas avoir le même battement de cils que Pénélope. Qui dit mieux le rejet d’une mère par sa fille qu’un mouchoir jeté dans un panier à linge ? Edmée retrouve au linge sale les traces du rouge baiser qu’elle a déposé sur le front de sa fille endormie. Toujours dans Choix des élues, pour revoir son fils qu’elle a fui tant d’années et transformer sa fuite en simple absence, se faire pardonner, Edmée revêt un tailleur de voyage et dispose au centre de sa chambre, pour qu’elle devienne chambre de voyage, les œuvres complètes de Stevenson… C’est aussi cela l’esthétique du détail 97 .’

Des contemporains de Giraudoux font observer, eux aussi, cette « esthétique du détail », de l’exactitude, ou de la petitesse dans sa littérature. René Bray, qui voit « un réalisme de l’irréel 98  » dans la « préciosité » giralducienne, constate que Giraudoux n’élimine pas la vie matérielle quotidienne dans son texte et y donne un aspect largement idéaliste. D’après R. Bray, les traits aussi bien symbolistes qu’idéalistes s’expliquent par le fait que la « préciosité » de Giraudoux est fondée sur le respect et la tendresse pour des choses mineures : « Voilà bien la source de sa préciosité : […] Partout réside une âme, dans la bête, dans l’arbre, dans le caillou, et pas plus dans l’homme que dans le chat, peut-être pas plus dans le dieu que dans l’être humain 99 . » Sylviane Coyault fait remarquer que « les injections de réalité quotidienne » non seulement dans le détail mais également dans « l’œuvre dans son ensemble » échappent au réalisme au sens stricte du terme : «  les menus détails font dévier vers une rêverie qui décolle du présent » 100 .

Attardons-nous sur quelques exemples. Nous constatons que l’attention pour les menus détails s’élève jusqu’à un certain panthéisme, un des attributs du romantisme allemand 101 . Dans son île, Suzanne écoute « trois madrépores discut[er] 102  » ; une de ses amies achète « une poupée japonaise pour la rapporter au Japon, pour l’y relâcher sans doute, comme elle eût fait d’un oiseau 103  » ; quant au narrateur de Jacques l’Égoïste, il se sent reconnaissant envers les « ombres insignifiantes » – c’est-à-dire les morts inconnus – qui savent lui « apporter tout ce qui manque, dans la vie, à l’amitié et à l’amour » 104 . Dans Le Petit Duc, au lieu de détailler la tristesse de Jean qui est planté devant l’entrée du cirque en attendant désespérément son ami le petit duc, Giraudoux accumule les descriptions d’animaux et de gens, sous le regard de Jean 105 .

C’est dans des récits de guerre tels que Lectures pour une ombre, que Giraudoux consacre des passages curieusement longs à « une inlassable énumération de choses, de visages et de gestes », de telle sorte que la fable du récit devient beaucoup moins présente, cachée derrière une série de descriptions qui prend l’« apparence d’une collection rassemblée par un amateur ou un dilettante » 106  :

‘Campés dans la maison d’école, nous avons adopté les heures de classe, comme nous adoptons dans les ateliers les heures d’usine. Déjeuner à onze heures, collation à quatre, et récréation dans la cour. Le capitaine Lambert écrit ses lettres dans la chaire ; nous nous enfonçons avec peine dans de petites tables soudées à leurs bancs, pivotons avec elles pour bavarder, ou pour prendre dans chaque tiroir le cahier de composition de son élève ; le mien s’appelle Félix Bertrand et il a manqué son devoir final, la classe avait à expliquer les diminutifs en on : chaton, négrillon, ourson, et Félix n’a point compris l’instituteur : « Un petit chaton est un chat, explique-t-il, un petit négrillon un nègre. » Par la fenêtre, nous voyons l’église, d’où ruisselle la source de l’eau bénite, et suivons tout ce qui se produit sur les routes à peine rapides, un oeuf dur qui roule, par exemple, talonné par une escouade… 107

Dans les récits de guerre, Giraudoux décrit souvent un établissement scolaire. Ainsi, dans Nuit à Châteauroux, le narrateur rend visite à sa région natale, à son lycée et s’y promène. Or, la description d’un intérieur d’école, du comportement de son capitaine, de petites tables d’écoliers, ou bien de notes d’un cahier appartenant à un élève rompt la continuité narrative. En plus elle est longue : les points de suspension mis à la fin du passage ont pour effet de faire sentir la continuité de cette observation minutieuse du narrateur. De plus, en poursuivant sa lecture, le lecteur commence à sentir que Giraudoux ne veut pas donner un fil conducteur à son récit, mais juxtaposer plusieurs tableaux, tantôt sur les longues marches des soldats, tantôt sur de courts repos apparemment paisibles en apparence. Sylviane Coyault souligne l’indifférence envers la hiérarchisation des événements chez notre écrivain : « dans les représentations communes, le petit est de l’ordre de la surface, du superficiel alors que le grand – le gros, l’important – occupe le centre. Ces catégories semblent bien s’inverser chez Giraudoux » 108 . Autrement dit, les blessures, la peine, la mort de soldats, en bref les scènes pathétiques et tragiques pourvues d’une certaine grandeur ne sont pas plus soulignées que les petits détails anecdotiques de vêtements, de manies, de physionomie de ces soldats souffrants et mourants. Ce n’est pas leur pathétique qui est souligné mais leur banalité quotidienne.

Nous remarquons par ailleurs que l’auteur révèle le nom propre du propriétaire de ce cahier d’école mentionné plus haut. Le lecteur aura l’impression de voir à la dérobée la vie privée de ce petit élève. Giraudoux montre un goût prononcé pour l’énumération de noms propres dans toutes ses œuvres littéraires. Un des personnages les plus avides de noms propres est Suzanne, comme le rappelle Michel Potet. Suzanne a une prédilection pour les « noms de grands hommes qui arrêtent, à l’exclusion de tous les autres noms, les tramways dans les banlieues 109  » comme pour « ceux de personnages inconnus comme on en découvre à toutes les pages d’un journal 110  ». Au bout de plusieurs années d’une vie solitaire dans son île déserte, il lui vient cruellement l’envie de baptiser tous les arbres, tous les rochers, tous les animaux qui n’auraient jamais eu de nom sans la présence de Suzanne.

‘Je n’avais pu résister au désir d’écrire, et le couteau que j’avais ménagé deux ans comme ma seule arme et mon pourvoyeur, j’osai lui faire graver des phrases sur les arbres et dans le roc. Tous les eucalyptus aux angles des allées portaient un nom de rue, assez bas, on aurait pu le lire avec les mains la nuit. Puis, de coraux et de nacres, je composai dans les clairières des mots immenses, mosaïque un peu précaire, que je consolidais de résine, et sur laquelle j’évitai de marcher, mais chaque mètre perdu pour la promenade était gagné pour ma mémoire. L’île fut bientôt couverte de noms propre 111 .’

Au cas où il serait impossible de trouver le nom propre pour un certain animal, Giraudoux lui donne « le nom précis plutôt que le terme générique, l’alezan plutôt que le cheval, le scarabée plutôt que l’insecte 112  ».

Pour Giraudoux le sens originel de chaque nom n’importe pas toujours. Suzanne est ainsi une sorte de collectionneuse de noms propres dont le sens premier lui échappe parfois :

‘[…] je m’amusais à réunir tous ces noms qui pour moi ne signifiaient rien mais que je sentais pleins de sens, Syrinx, Paludes,,Théodore, Adolphe, avec le soin d’un milliardaire ignorant qui collectionne des noms pour ses chevaux de courses et ses vaisseaux 113 .’

L’étiquette elle-même porte une valeur ; même si l’on ne peut connaître, d’une manière exacte et détaillée, la nature, le contenu, la destination ou bien l’identité du porteur de ce nom, il est néanmoins vrai que le nom prouve la présence du possesseur. Cette personne est‑elle décédée depuis longtemps ? Cette question sans réponses nous permet de laisser voguer son imagination sur la vie ou la nature du possesseur du porteur du nom. Florence Delay affirme l’importance du nom propre dans la littérature de Giraudoux : « le nom propre est un début d’histoire qui se porte jusqu’à la fin 114  ».

Cette prédilection pour le détail n’implique pas toujours la véracité de l’« histoire » cachée derrière le détail. En effet, dans la citation précédente, le narrateur donne libre cours à son imagination au sujet de la vie privée de cet élève, Félix, sans l’avoir jamais rencontré. Un exemple emblématique est le cas de Calixte Sornin évoqué par Suzanne. Celle‑ci est soudainement prise par l’idée du suicide quand le nom de ce Calixte lui vient, elle ne sait trop pour quelle raison :

‘Je songeais à mourir. Mais c’est alors que Calixte Sornin apparaissait et me sauvait. C’était le premier nom de mort que j’eusse entendu, à ma première messe. De Calixte je ne savais que ce nom. Un paysan sans doute, un ouvrier. Mais moi seule, sans aucun doute, de tous ceux qui vivaient, me le rappelais encore. Il était célibataire, il était orphelin, il avait quatre-vingt-onze ans, avait dit le curé. J’étais le seul dépositaire de cette faible mémoire. Moi disparue, alors que pour moi-même je n’avais rien à craindre, alors que mon souvenir vivrait encore longtemps dans Bellac et par Simon dans Paris, moi morte, le dernier reflet de la vie de Calixte était anéanti. Parfois je me sentais plus responsable de ce souvenir à son terme que de mon existence même 115 .’

Suzanne prévient qu’elle ne connaît, de ce personnage appelé Calixte, que le nom. Mais elle ne s’abstient pas pour autant de parler de la vie de ce dernier, comme on aurait pu s’y attendre. Aussi invente-t-elle la profession (paysan ou ouvrier) et l’état civil (célibataire et orphelin) de cet inconnu. Il est à noter que c’est au moment où Suzanne formule pour la première fois son envie de mourir que cette toute petite présence, quasi-imaginaire, lui revient en mémoire et lui sauve la vie. Un personnage tout à fait secondaire et épisodique est ainsi valorisé dans le texte de Giraudoux. Citons un autre exemple de cette présence des morts : le narrateur de Jacques l’Egoïste se sent lié aux morts dont il a lu l’avis nécrologique comme s’ils étaient ses « familiers ».

‘Je porte mille deuils qui ne m’appartiennent même pas. Des jeunes gens, des jeunes femmes, que je rencontrai une fois ou deux fois et dont j’ai appris soudain la mort, m’apparaissent et deviennent mes familiers. Je rêve presque continuellement à eux. Souvent c’est Laure de Bertilly, qui se penche, qui se tait. Souvent c’est Edith Gocelan, qui mourut après trois mois de mariage. Debout contre la muraille, elle ne sait non plus que dire. Je l’interroge 116 .’

Le narrateur mémorise pour la première fois le nom de ces morts et imagine leurs vies, de la même façon que Suzanne imagine la vie inconnue et solitaire de Calixte. Impossible de savoir ce qui s’est passé dans leurs vies car ils ne sont plus là, mais ils sont toujours « présents » dans son imaginaire. D’ailleurs, la mort d’un individu suscite le travail de l’imagination, comme le montre l’exemple de Suzanne devant un corps rejeté sur la plage. En faisant appel à ses expériences et à tous ses préjugés personnels, elle détermine les petits détails de la vie de cet homme. Pour elle, reconstituer la vie réelle de ce mort importe moins que le fait qu’il appartienne à ce monde :

‘Avais-je donc une telle science des hommes ? L’index de la main droite était jaune, c’est qu’il fumait ; les talons usés et éculés comme des talons de souliers, c’est qu’il était autoritaire ; la bouche ouverte sur le côté, il devait s’amuser à cracher loin ; la lèvre supérieure avancée, c’est qu’il était gai, c’est qu’il aimait les calembours ; la ceinture plissée et ridée par une vraie ceinture, un gymnaste. Il avait des cheveux roux et ras, la barbe fraîche ; on avait prévu la bataille, fait raser et tondre l’équipage 117 .’

Giraudoux ne cache pas le risque d’incohérence provoquée par ce manque de véracité. Par exemple, Suzanne est intriguée par le nom propre « la Marne » utilisé dans un journal qu’elle a trouvé parmi les épaves : « tout va mal, mais il y a la Marne » se dit-elle. Pour résoudre l’énigme de « la Marne », qu’elle ne connaît que comme nom de fleuve, elle le remplace par Seine et Saône, en vain… car elle ne sait pas que le nom propre est employé ici comme une métonymie pour désigner la célèbre bataille de la Marne 118 . Comme nous le savons, cette bataille constitue l’un des tournants de la guerre, puisqu’elle marque l'échec du plan Schlieffen et le début de la guerre de position. Suzanne se répète la formule citée comme si cela pouvait lui porter bonheur et finit par avoir l’intuition de son avenir heureux : «‘‘ Elle est seule dans son île, mais il y a la Marne… ’’ et soudain, en effet, la Marne me promit mon retour, tant je revis nettement à Charenton, sur son embouchure même, ce pêcheur à la ligne plein de ravissement […] 119  » Michel Potet cite ce passage et soutient que le lecteur ressent « combien la nomination est une entreprise contingente, hasardeuse, imprévisible 120  » chez Giraudoux. Dans ce monde fictif, le sens que les Français à l’époque devaient attribuer à ce nom propre n’a pas d’importance. Ce qui est souligné dans ce passage, c’est le pouvoir magique d’un mot : il donne un espoir à ceux qui sont désespérés.

Ainsi, le détail porte-il souvent, chez Giraudoux, une valeur aussi connotative que la notion de détail que Daniel Arasse souligne. Celui-ci nous révèle une certaine complémentarité entre le détail mineur et ceux qui s’en aperçoivent. Par exemple, d’après lui, « la pénultième page du Testament de Rilke confirme à quel point l’événement du détail peut disloquer le tableau et advenir en un moment infime de la peinture qui devient le tout de la contemplation où le sujet se noie ». Il s’agit de « l’imperceptible ombre » de l’une des pommes qui ne sont, elles aussi, qu’un tout petit détail de la peinture, La Vierge de Lucques de Van Eyck.

‘Et tout à coup je désirai, je désirai, oh ! désirai de toute la ferveur dont mon cœur a jamais été capable, désirai d’être non pas l’une des petites pommes du tableau, non pas l’une de ces pommes peintes sur la tablette peinte de la fenêtre – même cela me semblait trop de destin… Non : devenir la douce, l’infime, l’imperceptible ombre de l’une de ces pommes –, tel fut le désir en lequel tout mon être se rassembla. 121 .’

Rilke fait ressortir la petitesse de cette ombre en parlant de la petitesse des pommes et de la tablette sur laquelle ces pommes sont mises. Le détail, infime, peut être très important pour celui qui sent que sa dernière heure ne va pas tarder. Quand le caractère éphémère, fragile et inaperçu de cette ombre se joint à la fugacité de la vie des hommes, « l’événement est là, qui happe le poète ‘‘à présent, là’’, au plus près du tableau 122  ». Cet événement frappe le lecteur qui est témoin du lien fragile entre le détail et celui qui l’aperçoit, par l’intermédiaire du génie créatif de l’écrivain.

Daniel Arasse cite également Proust 123 dans son ouvrage. Il s’agit de la mort de Bergotte, écrivain et ami du narrateur de la Recherche. Ce personnage va visiter une exposition pour voir un tableau, malgré son très mauvais état de santé à la suite d’une petite crise d’urémie. Devant ce tableau de Vermeer, La Vue de Delft,il est saisi par la vision d’un « petit pan de mur jaune » qui est placé vers l’extrémité droite de la toile, presque à la marge de la surface. Dans la tête de l’écrivain mourant une idée circule, selon le narrateur du roman : « c’est ainsi que j’aurais dû écrire ». L’admiration que le personnage de Proust ressent sur le point de mourir pour le petit détail détaché et isolé du tableau nous paraît semblable à celle que le narrateur de Siegfried et le Limousin porte à la figure des ondines et des sirènes, récurrente dans les articles publiés sous le nom de S. V. K. C’est que, de

Figure 1 :
Figure 1 : La Vierge de Lucques de Jan van Eyck
Figure 2 :
Figure 2 : La Vue de Delft de Vermeer

même que Bergotte est « l’initiateur littéraire du narrateur de la Recherche », les articles pleins de figures aquatiques incitent le narrateur du récit de Giraudoux à raconter son voyage en Allemagne, à la recherche de son ami Forestier. Le détail cause une aventure neuve, une nouvelle vie ou une nouvelle histoire, même s’il disparaît.

À ce propos, l’esthétique du détail de Giraudoux est souvent liée à des éléments autobiographiques. Jacques Body, qui a effectué les recherches complètes sur la biographie de Giraudoux, souligne : « l’étude de ces données biographiques montre que des récits tels que Nuit à Châteauroux et Siegfried et le Limousin sont beaucoup moins romancés qu’on ne pourrait le croire, et que l’autobiographie y tient une très grande place 124  ». Par exemple, Giraudoux fut mobilisé et travailla comme interprète, comme le narrateur de Lectures pour une ombre ; le narrateur de Nuit à Châteauroux se rappelle ses jours adolescents à Châteauroux, une région tout à fait familière à Giraudoux ; Siegfried et le Limousin est empli de descriptions de Münich, où l’écrivain passa presque un an de sa vie estudiantine ; le père et les professeurs de l’école du narrateur de Simon le Pathétique évoquent la vie de Giraudoux adolescent ; Bella est riche en épisodes qui font penser à la vie professionnelle de l’auteur : on constate beaucoup de points communs entre la famille du narrateur et celle du diplomate Philippe Berthelot, secrétaire général du ministère des Affaires étrangères, et patron de Giraudoux, contraint à la démission à la fin de 1921.

Pourtant, tous ces détails ne sont que des éléments composant un récit fictif. L’auteur écrit des récits d’inspirations autobiographiques, non une autobiographie à proprement parler. Pourquoi Giraudoux n’écrit-il pas un seul texte entièrement autobiographique ? Est-ce parce qu’il n’aime pas être contraint par les principes de l’autobiographie et préfère mélanger le vrai et l’imaginaire ? En effet, il ne s’attache pas à la véracité précise des détails, même si ceux-ci sont inspirés par ses souvenirs personnels. C’est pourquoi dans Bella, la mention d’un détail authentique sert souvent de prétexte à un récit de pure fiction. Il est bien vrai que Berthelot rédigea des articles qui furent publiés dans le cadre de La Grande Encyclopédie, comme le fait le père du narrateur. Pourtant, cette publication de gros volumes ne contient pas d’« articles consacrés aux ‘‘peuples disparus ou asservis’’, aux grands ‘‘fléaux’’, aux ‘‘dates fatidiques’’, etc. », d’après l’annotation de Brett Dawson 125 . D’ailleurs, Giraudoux paraît créer volontairement l’illusion à propos de son « moi » personnel sur le plan de la narration, comme nous l’avons déjà vu plus haut.

Les premiers récits de Giraudoux sont racontés du point de vue d’un « moi » cosmique, constitué des regards de tous les autres personnages, vivants ou morts, le narrateur y compris, et de celui de l’auteur lui-même sans doute ; et c’est par ce regard tout à fait singulier que la prolifération de détails se manifeste. Nous devons maintenant poser une hypothèse en ce qui concerne la nécessité de toutes ces complications. Ladite question sur l’attitude évasive de Giraudoux à l’égard de l’autobiographie forme le point de départ de la réflexion suivante.

Notes
96.

Ibid., p. 88.

97.

Florence Delay, op. cit., p. 31.

98.

René Bray, La Préciosité et les précieux : de Thibaut de Champagne à Jean Giraudoux, Paris, Albin Michel, 1948, p. 374.

99.

Ibid., p. 383.

100.

Sylviane Coyault, « ‘‘Le battement de cils d’Andromaque’’ ou la Poétique du détail chez Giraudoux », in Cahiers Jean Giraudoux 33, p. 46.

101.

Le lien entre l’œuvre de Giraudoux et le romantisme allemand par le biais du panthéisme constituerait une problématique, même si nous ne pouvons pas l’aborder dans le cadre de ce présent travail.

102.

Suzanne et le Pacifique, p. 521.

103.

Ibid., p. 480.

104.

L’École des indifférents, p. 136.

105.

Provinciales, p. 81.

106.

Sylviane Coyault, « À propos des récits de guerre giralduciens», Des Provinciales au Pacifique : les premières œuvres de Giraudoux, Clermont-Ferrand, Association des Publications de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de Clermont-Ferrand, 1994, p. 88.

107.

Jean Giraudoux, Lectures pour une ombre, pp. 123, 124.

108.

Sylviane Coyault, « Le battement de cils d’Andromaque », p. 39.

109.

Suzanne et le Pacifique, p. 482.

110.

Michel Potet, « La nomination dans Suzanne et le Pacifique », Des Provinciales au Pacifique : les premières œuvres de Giraudoux, p. 175.

111.

Suzanne et le Pacifique, p. 551.

112.

Sylviane Coyault, op. cit., p. 43.

113.

Suzanne et le Pacifique, p. 555.

114.

Florence Delay, op. cit., p. 144.

115.

Suzanne et le Pacifique, p. 545.

116.

L’École des indifférents, p. 134.

117.

Suzanne et le Pacifique, p. 567.

118.

Giraudoux consacre un chapitre aux « cinq soirs et les réveils de la Marne » dans Lectures pour une ombre.

119.

Suzanne et le Pacifique. p. 578.

120.

Michel Potet, op. cit., p. 175.

121.

Testament de Rilke cité par Daniel Arasse, dans Le Détail. Pour une histoire rapprochée de la peinture, Paris, Flammarion, 1999, p. 242.

122.

Ibid., p. 241.

123.

Ibid., loc. cit.

124.

Jacques Body, Giraudoux et l’Allemagne, p. 50.

125.

Bella, Notes et variantes, p.1854.