III Irruption silencieuse de l’épique

Comparons Siegfried et le Limousin à un univers : les personnages sont créés à l’image des étoiles. Il y a des étoiles, des planètes, des satellites naturels, et d’innombrables cailloux qui sont tous en mouvement et se heurtent les uns contre les autres tellement fort que les uns éclipsent les autres ; parmi ces astres il y en a qui paraissent au premier abord comme des étoiles, mais qui ne sont que des planètes ou des cailloux, car ils sont tellement brillants en apparence qu’ils nous semblent émettre de la lumière par eux-mêmes. Et vice versa, car il y a également de petits cailloux qui savent briller par eux-mêmes. La narration est ainsi donc l’ensemble de tous les astres grands et petits, brillants et sombres, bruyants et silencieux. Ce n’est pas seulement Jean qui raconte peut-être. Sous l’apparence de la présence de ce narrateur, il y a plusieurs voix qui s’occupent de la narration, sans que leurs identités soient nettement distinguées. Le point commun de ces voix narratives est l’attachement au détail. Quelquefois, ce détail devient le sujet qui raconte le récit.

Au moment de l’adaptation du roman, ce caractère cosmique est étonnement dominé et affaibli par la volonté de l’auteur ; la composition normative d’une pièce dramatique passe avant. Vu l’étendue quasiment infinie de l’univers romanesque de Siegfried et le Limousin, nous nous imaginons comment la décision de Giraudoux était inébranlable. Le texte de Siegfried voit le jour, au prix d’énormément de sacrifices de traits « divagants ».

Mais il nous semble qu’au niveau du choix des mots et des phrases contenus dans les répliques, cette esthétique du détail se manifeste secrètement et produit des effets autrement intéressants que ce que produit le déroulement de l’action principale. Nous allons regarder de près d’abord, la manifestation apparemment modeste de ces détails microcosmiques dans des répliques, pour présenter ensuite une hypothèse à propos de l’effet théâtral de cette manifestation.