2. Le théâtre comme communion spirituelle

En s’installant à l’Athénée, il approfondit la question sur la communication entre la salle et la scène en se focalisant sur la réalisation du « dramatique » sur la scène. Dans la préface, publiée en 1942, de la nouvelle traduction française de La Pratique pour fabriquer scènes et machines du Théâtre de Nicola Sabbattini, dans laquelle Jouvet exprime sa reconnaissance aux machinistes avec qui il travaille en tant que régisseur général parce qu’ils comprennent le mieux « le sens du dramatique » :

‘Quand je considère les gens de théâtre, c’est le machiniste qui m’apparaît, pour avoir, mieux qu’un autre, le sens du dramatique. Dans cette profession où chacun travaille dominé par un sentiment, le machiniste est peut-être le plus éminent. [...] Pour parler du théâtre, il faudrait d’abord parler de la machinerie et faire l’éloge des machinistes. Il faudrait commencer à l’un ou l’autre de ses pôles, en parlant du poète qui écrit la pièce ou du machiniste qui construit le décor, de celui qui sait dire le sens des choses invisibles ou de celui qui sait en faire les écrans. Tout ce que je sais du théâtre, je l’ai appris d’abord avec les machinistes, sur la scène, dans cet espace imaginaire où se passent des actions imaginaires qu’on appelle pièces de théâtre. 458

Il n’entend pas par le « dramatique » les trois grands modes poétiques, l’épique, le dramatique et le lyrique. Il dit ailleurs que « le Dramatique commence dans l’attente d’un personnage ou des personnages, et se consomme et s’achève dans un ou des personnages ». Et il ajoute tout de suite une phrase inachevée :

‘le dramatique du décor italien ou grec par des ouvertures, des coulisses où quelqu’un va entrer qui...[sic] 459

Le « dramatique » commence quand « quelqu’un » entre. Qu’est-ce qu’il entend par ce « quelqu’un », qui nous semble le synonyme du « personnage » ?

L’entrée des personnages dramatiques sur le plateau est pour lui loin d’être un simple déplacement du corps des acteurs qui jouent leur rôles. C’est la seule occasion, pour le « personnage-fantôme » qui flotte en l’air, de prendre forme par l’intermédiaire du corps de l’acteur. Dans l’un de ses ouvrages, Comédien désincarné, les pages intitulées « divagation du comédien. Le personnage de théâtre » 460 sont consacrées à ses réflexions sur le rapport entre cette présence mystérieuse qu’est ce « personnage-fantôme » et le jeu de l’acteur. Il y reste désorienté et songeur en rédigeant ces pages et n’aboutit pas à une issue claire. Il ne fait que juxtaposer beaucoup d’expressions et de phrases diverses ; c’est pour trouver une bonne réponse, mais en vain : « intangibilité du personnage » ; « le personnage est ‘‘ouvert’’ » alors que « la personne est fermée » ; « personnage : condensation d’humanité » ; « résidus du divin » ; « Luciférisme du personnage »... Il va jusqu’à parler à la place d’un personnage imaginaire ainsi : « Ma vérité ne s’enferme pas dans une formule ».

Ses réflexions laborieuses sur le personnage dramatique nous semblent causées par le fait que l’interprétation du personnage est pour lui essentiellement impossible :

‘Nous sommes condamnés à incarner des Esprits, dont nous ne donnons jamais que la caricature. 461

Il faut jouer parce qu’il est acteur, mais il est destiné à souffrir de jouer parce que jouer est, pour Jouvet, ne pas jouer parfaitement. Alors qu’il dit nettement qu’au théâtre est autorisée « la croyance aux fantômes et aux esprits » 462 , il reste tout le temps en quête de cette croyance, bien paradoxale. C’est comme s’il jouait pour être tiraillé entre la corporalité de l’acteur et la spiritualité du personnage qui égale une espèce de sainteté. Il va jusqu’à dire qu’« un homme normal deviendrait sans doute malade ou sujet à des troubles physiques graves s’il devait éprouver les sensations qu’un comédien ressent ou essaye de ressentir tous les soirs » 463

Il raconte deux rêves qu’il fit dans les années 1940, sur les esprits flottant dans la salle. Ils trahissent la souffrance de Jouvet. Dans les deux cas, il rêve que les fantômes des personnages bougent sans cesse en coulisse et forment une « ronde des âmes ». Ils paraissent vouloir parler avec leur « doubles », les acteurs qui les incarnent. Mais ceux-ci ne reconnaissent pas la présence de ces fantômes qui s’adressent désespérément à eux. Jouvet rêveur, qui est le seul témoin de cette rencontre perpétuellement ratée et se sent obligé de faire un signe aux acteurs, mais sans succès :

‘[...] moi je vois toutes ces ombres, et chaque fois qu’un comédien passe près de moi et que j’aperçois une de ces ombres qui circule, je voudrais attirer son attention ; je voudrais qu’on voie ce que je voie. Je sens qu’il y a quelque chose de grave, qu’un mystère va se découvrir, que peut-être est-ce dans ces apparitions et la façon dont elles vivent avec nous, sans que nous l’ayons remarqué jusqu’ici, que se trouve l’explication de notre profession, l’explication du théâtre, de l’inspiration du poète, de l’interprétation du comédien.
Je frappe vite mais discrètement du doigt, comme on frappe à une porte, sur ce qui est près de moi, sur le bord de la glace, sur le dossier de la chaise, sur le cadre d’un châssis, mais aucun vrai son ne se produit. [...]
Tout le bruit que je tâchais de faire ne produisait aucun son et se changeait en silence ; c’est le silence qui m’a réveillé. 464

Jouvet compare un des spectres s’adressant en vain à son double avec le spectre d’un conte de Dickens :

‘Ce personnage est comme le spectre de M. Scrooge de Dickens ; il voudrait lui parler, il est plein de sollicitude envers l’acteur, d’affection, mais l’acteur ne le voit pas. Il croit être déjà le personnage. 465

Il condamne un certain « moi » de l’interprète qui se prend naïvement pour le personnage. Il est donc hors question de s’identifier au personnage et de rivaliser avec le « moi » du rôle :

‘S’identifier ! Etre identique ! Ne faire qu’un avec un personnage est peut-être une impression que le spectateur éprouve, ce n’est pas non plus une vérité. Seul, le personnage a une identité. 466

Pour lui, l’acteur n’est qu’un intermédiaire impersonnel par lequel le personnage prend forme :

‘C’est en somme un passage, un transit de personnages, à l’état de fantômes chez l’auteur, qui prennent corps dans le comédien. 467

Il dit ailleurs qu’il faut que l’acteur « s’irréalise » dans le personnage, non pas que le personnage se réalise dans l’acteur 468 . Ce qui nous rappelle le conseil sévère de Jouvet donné à une élève du Conservatoire : « tu es intelligente, méfie-toi » 469 . L’acteur doit laisser le texte couler sans faire appel au travail cérébral ou à l’interprétation osée et personnelle... Mais, Jouvet ne cherche pas pour autant à être possédé du « démon » du texte. Lui-même se donne l’alerte à ce sujet :

‘Il ne faut pas s’orienter exclusivement dans le spirituel, c’est aussi incomplet et dangereux qu’une orientation entièrement matérielle. 470

Il essaie de se débarrasser complètement de son « moi », mais sans entrer en transe. 471

Pour mieux comprendre les réflexions de Jouvet qui paraissent pleines de confusions, nous pouvons les comparer à celles de Pirandello. Cet auteur italien fait des recherches sur le statut fictif du personnage. Feu Mathias Pascal (1904) est un roman intéressant à ce sujet, car le personnage principal Pascal est confronté à la même question que Jouvet se pose : comment écouter et comprendre la présence insondable, intouchable et invisible. La famille de Mathias prend un inconnu mort pour Mathias. Celui-ci qui s’ennuyait de la vie familiale profite de cette occasion pour quitter sa vie et sa famille. Il se nomme différemment pour s’affranchir de toutes les contraintes sociales. Il invente la vie entière du personnage dans la peau de laquelle il vit. L’idée d’être quelqu’un qui n’existe pas lui tourne la tête et le perturbe quelquefois. En outre il loge dans une famille qui aime les choses occultistes. Dans ces circonstances, il devient de plus en plus sceptique de sa vie forgée et finit par se rendre compte d’une illusion que l’on se fait :

‘Là, dans un corridor, suspendue dans l’embrasure d’une fenêtre, était une cage avec un canari. Ne pouvant le faire avec les autres et ne sachant à quoi passer mon temps, je me mettais à causer avec ce canari : je lui répétais son refrain avec les lèvres, et lui croyait vraiment que quelqu’un lui parlait, et il écoutait, et peut-être recueillait-il dans mon gazouillement de chères nouvelles de nids, de feuilles, de liberté... Il s’agitait dans la cage, se tournait,sautait, regardait de biais, secouant sa petite tête, puis me répondait, interrogeait, écoutait encore. Pauvre petit oiseau ! Lui au moins m’entendait, tandis que je ne savais pas, moi, ce qu’il avait dit...
Eh bien ! à y réfléchir, ne nous arrive-t-il pas, à nous autres hommes, quelque chose de semblable ? Ne croyons-nous pas, nous aussi, que la nature nous parle ? Et ne nous semble-t-il pas recueillir un sens dans ses voix mystérieuses, une réponse selon nos désirs, aux demandes anxieuses que nous lui adressons ? Et cependant, la nature, dans sa grandeur infinie, n’a peut-être pas le plus lointain soupçon de nous et de notre vaine illusion. 472

Pirandello élargit le débat en remplaçant le personnage par la « nature ». Mais, le souci central est pareil à celui de Jouvet : est-ce que nous comprenons vraiment les choses telles qu’elles sont ? Le difficile est que ces choses ne sont pas inexistantes. Elles sont sûrement là, quelque part, sans que l’on ne sache où. Le génie audacieux de Pirandello consiste à faire apparaître sur la scène la réalité intouchable qu’est le personnage fictif. Pour faire entrer ses six personnages 473 en scène, l’auteur italien distingue la nature des acteurs-personnages et de celle des personnages-personnages, mais il précise que ces derniers doivent paraître « réels » :

‘Quand l’huissier les [=les six personnages] annonce au directeur, ils sont rangés au fond de la scène, où, dès leur apparition, une étrange lueur, à peine perceptible et qui semble rayonner d’eux, les entoure, comme la buée légère de leur réalité fantastique.
Cette lueur s’évanouira quand ils s’avanceront pour entrer en contact avec les comédiens. Ils conserveront toutefois une certaine inconsistance de rêve, mais qui n’enlèvera rien à la réalité essentielle et de leurs formes et de leur expression. 474

Deux notions opposées coexistent : fantaisie et réalité. La nature paradoxale que Pirandello fournit à ses six personnages évoque directement celle que Jouvet ressent en face du personnage dramatique.

Le « dramatique » ne se produit, aux yeux de Jouvet, que quand cette curieuse présence qu’est le personnage fait son entrée en scène. Or, cela ne concerne pas seulement l’acteur qui le joue mais aussi tous les participants à l’acte théâtral. Rappelons que ses réflexions sur le personnage de théâtre résultent de sa prise de position, concernant la « soumission au texte ». Il soutient, en tant que metteur en scène, que pour mettre en scène une pièce, il faut « la docilité de l’esprit et l’absence d’imagination ». Du reste, le seul domaine que Jouvet n’aborde jamais est le texte, tandis qu’il exerce, depuis ses débuts, tous les autres métiers à commencer par régisseur, éclairagiste, machiniste, acteur... D’autre part, cette « dépossession de soi » est le principe que Jouvet ordonne de respecter à tous les participants du théâtre, quand ils se trouvent en face d’une oeuvre dramatique. Aussi tous les éléments de la production théâtrale convergent-ils afin que le texte soit transposé, visualisé, somme toute incarné sur la scène.

Si Jouvet fait l’éloge de Christian Bérard, décorateur officiel du Théâtre de l’Athénée, c’est que ce génie exceptionnel n’a pas d'ego, ni son interprétation particulière et qu’il se laisse tout simplement prendre par le texte et accepte de s’y subordonner.

‘Ce qui ravit, chez Christian Bérard, c’est son ignorance suprême. D’une pièce lue dix fois, expliquée vingt fois, il oublie à chaque instant les péripéties, les détails essentiels, les indications les plus importantes. Ce qui touche en lui, ce sont ses refus devant une œuvre, le sentiment douloureux de son impossibilité à imaginer, son impuissance, ses exaspérations, ses colères, les partis pris où il s’accroche avec passion et qu’il lâche soudainement. Et ce qui étonne, c’est dans le chaos et le tumulte de ses réactions, dans la violence ou le désespoir de ses propos, la blancheur, l’innocence, la pureté où la pièce demeure. 475

L’esprit créateur du décorateur ne peut être assuré que par le rejet total de son « moi », d’après ce que dit Jouvet. D’où l’emploi de l’adjectif « impersonnel » quand il fait l’éloge de Bérard :

‘Doué de la plus grande personnalité créatrice, Christian Bérard est le plus modeste, le plus impersonnel décorateur. Il a l’esprit même d’un auteur dramatique. Le don le plus éminent de Bérard est de savoir pratiquer, dans l’art du Théâtre où tout est dépendant, cet art de subordination qui le rend égal au créateur.’

Comme Bérard, il faut que, selon Jouvet, l’on reste vide et impersonnel afin d’être rempli purement par le langage de l’auteur. Or, ce n’est pas seulement les gens de théâtre qui sont obligés de se débarrasser de leur personnalité individuelle. Il faut que les spectateurs deviennent non moins impersonnels, voire « inexistants », devant l’apparition des personnages. À cet égard Jouvet développe ses réflexions sur le portrait du spectateur à partir de passages de L’Échange de Paul Claudel : « L’homme se regarde lui-même » ; « Et ils regardent et écoutent comme s’ils dormaient ». Une fois le rideau levé, la figure des acteurs par l’intermédiaire desquels les personnages prennent forme sert en quelque sorte de miroir. Les spectateurs, « les mains posées sur les genoux », se regardent dans ce miroir et prendront la figure des personnages pour eux-mêmes. À ce moment-là, le public n’est plus l’assemblage des individualités différentes. Il n’existe plus et se dépossède de lui-même.

‘ L’homme se regarde lui-même... et il croit qu’il se voit. Il vit de cette autre présence, de cette vision, il en parle aussi.
Ce n’est qu’un vertige. En fait, on peut dire aussi bien qu’il cesse d’exister.
Se regardant comme on se regarde dans un miroir, avec cette impression soudaine, inéluctable, qu’on a parfois devant un miroir, il perd sa propre image ; sur le tain de la glace, c’est un inconnu qu’il aperçoit. Il cesse d’exister en se regardant lui-même. En sympathisant avec ce personnage qui est devant lui, dont il éprouve à l’unisson les sentiments et les sensations, sans s’en douter, il se dépossède lentement de lui-même. C’est le comédien, c’est l’acteur qui vivent à la place, et, par instants, au fond de lui, - absent, évacué, exproprié – il ne vit plus que dans une abstraction, dans le vertige d’une effigie. Il croit prendre conscience de lui ,en fait, c’est une rupture avec lui-même qui se produit. À ce moment, l’instabilité, le miroitement de la personne humaine est à son point le plus haut et le plus vertigineux.
L’homme se regarde lui-même... Il est venu pour s’assurer de soi, pour acquérir une sérénité, une rassurance et c’est justement dans cet instant qu’il se brouille. Croyant s’identifier, se reconnaître, il perd son propre contrôle, il abdique sa personnalité. Ainsi en perdant la conscience et la maîtrise de lui-même il a le sentiment d’exister. Dans cette évasion il éprouve le plus fortement l’idée, la sensation de se posséder et d’être. 476

D’après l’idée jouvetienne, la représentation théâtrale est réussie quand tous les participants atteignent à l’état impersonnel, non seulement les acteurs mais aussi les spectateurs. D’abord le corps de ces premiers devient un « passage » entre la scène et le monde des « Esprits », ensuite les deuxièmes regardent apparaître ce corps « hanté » pour ne plus exister spirituellement comme s’ils étaient dormeurs. Rappelons encore une fois ce que Jouvet dit au sujet du « dramatique » : « Le Dramatique commence dans l’attente d’un personnage ou des personnages, et se consomme et s’achève dans un ou des personnages » ; « le dramatique du décor italien ou grec par des ouvertures, des coulisses où quelqu’un va entrer qui...[sic] » 477 ; le personnage est une sorte de « résidus du divin ». Le théâtre est pour Louis Jouvet un lieu de communion.

Son retour au théâtre à l’italienne nous semble pouvoir s’expliquer dans le prolongement de ces réflexions. Antoine dit à l’exemple de Diderot qu’il y a le quatrième mur au niveau de la rampe qui sépare la scène de la salle. Pourtant, ce qui est l’écran imaginaire aux yeux de ces deux prédécesseurs est, pour Jouvet, les « ouvertures » d’où les apparitions – « résidus du divin » - entrent dans la salle pour exister à la place des spectateurs qui cessent d’exister pendant la représentation. Dans la perspective de rendre bien efficace l’effet de miroir entre la salle et la scène, la frontalité ne constitue plus l’obstacle qui empêche la communion mais au contraire. Certes Jouvet retourne au théâtre à l’italienne par besoin professionnel et administratif. Il a besoin d’une grande salle pour accueillir un grand public. Mais ce n’est pas un simple retour au vieux « traditionalisme ». Ses projets audacieux de nouveaux espaces théâtraux lancés notamment avant l’arrivée à l’Athénée matérialisent visuellement le nouveau rapport entre le public et la représentation, tandis que la méditation sur l’apparition de « personnages-fantômes » et la dépossession de soi de tous les participants l’intériorisent intellectuellement et théoriquement.

Notes
458.

Louis Jouvet, Préface à l’édition en langue française de La Pratique pour fabriquer scènes et machines du Théâtre par Nicola Sabbattini, pp. 39-40. C’est nous qui soulignons.

459.

Louis Jouvet, Le Comédien désincarné, p. 130.

460.

« Divagation du comédien. Le personnage de théâtre » est le sujet auquel nous ne pouvons pas rester indifférents étant donné le titre de ce présent travail. Nous allons revenir sur la question du rapport entre la « divagation » de Giraudoux et celle du metteur en scène tout de suite.

461.

Louis Jouvet, op. cit., p. 104.

462.

Ibid., p. 253.

463.

Ibid., p. 224.

464.

Ibid., pp. 103-104.

465.

Ibid., p. 116.

466.

Louis Jouvet, Témoignages sur le théâtre, Paris, Flammarion, p. 113.

467.

Louis Jouvet, Le Comédien désincarné, p. 146.

468.

Témoignages sur le théâtre, p. 113. Il nous semble intéressant de citer les phrases entières concernées : « Il y a sur une scène, quand il s’agit de personnages véritables, une présence double : celle de l’acteur et celle de ce fantôme qu’il a charge d’évoquer dans l’esprit et l’imagination du spectateur. Et ce n’est pas le personnage qui se réalise dans l’acteur, mais c’est, au contraire, l’acteur qui s’irréalise dans le personnage. Le personnage dramatique est, il vit, il existe, et l’acteur n’existe, lui, que par un efforcement entre l’audience devant laquelle il paraît et le langage dont il se sert pour pratiquer cet exorcisme et cette magie, ce commerce d’enchantement et de sorcellerie est le théâtre. »

469.

Louis Jouvet, Molière et la comédie classique, Paris, Gallimard, p. 121.

470.

Comédien désincarné, p. 124.

471.

Pourtant, la recherche de Jouvet sur la dépossession du « moi » de l’acteur provoque de graves ennuis quand le « moi » du personnage est absent dans le texte. Lorsqu’il crée pour la première fois un Tartuffe « sincère » en 1947, le rôle se débarrasse des traits qui désignent Tartuffe comme un « scélérat ». Pour ceux qui ont l’habitude de voir le personnage interprété comme « méchant », l’exécution de Jouvet est difficilement abordable. Le comédien, choqué par la réaction du public eut l’idée de rédiger ce texte qui est une sorte de « lamento » de Tartuffe-Jouvet. Le texte s’intitulant « Pourquoi j’ai monté Tartuffe » est publié dans Témoignages sur le théâtre : « D’ailleurs, pourquoi Tartuffe serait-il un aventurier ? Il était pauvre et mal vêtu lorsqu’il vint chez Orgon, ainsi que le dit Dorine ? Il n’y a à cela rien d’infâmant. Son comportement à l’église est peut-être l’indice d’une grande piété. Pourquoi Orgon ne serait-il pas séduit par un homme qui n’accepte que la moitié de se dons, et distribue l’autre moitié aux pauvres ». Témoignages sur le théâtre, p. 77.

472.

Luigi Pirandello, Feu Mathias Pascal, Paris, Calmann-Lévy, 1965, pp. 135-136.

473.

Luigi Pirandello, Six personnages en quête d’auteur. Crée par Georges Pïtoeff en 1923 à la Comédie des Champs-Elysées.

474.

Luigi Pirandello, Six personnages en quête d’auteur, Paris, Gallimard, 1950, p. 12.

475.

Témoignages sur le théâtre, p. 63.

476.

Ibid., p. 188.

477.

Voir : p. 211, note 2.