III Ondine : un point de convergence de l’épique et du scénique

À la fin d’Ondine, l’héroïne perd la mémoire et son amant meurt. Elle ne la perd pas dans le conte de La Motte-Fouqué. Le spectacle est irrémédiablement triste quand Ondine dit en voyant Hans tombé par terre « Comme je l’aurais aimé !» Ce soupir mis au conditionnel passé retentit dans le souvenir du public qui se sent « le seul dépositaire de cette faible mémoire » 494 .

Mais finalement, de quoi le public se souvient-il, quand le spectacle se termine ? Rappelons qu’Ondine était une création pleine d’effets spectaculaires en 1939 : projections, machineries, éclairages. L’histoire d’Ondine et Hans était présentée, sur le plan dramaturgique, à travers plusieurs procédés différents : l’acte premier est une féerie, le deuxième est du théâtre dans le théâtre, et le troisième est un procès. Donc quand le public se souvient de ce qui s’est passé entre les deux, il se rappelle inévitablement les divers procédés par lesquels leur histoire d’amour se présente.

Il y a trois raisons pour lesquelles il nous paraît intéressant d’examiner la structure complexe de la pièce et d’essayer de situer la pièce dans l’évolution de l’écriture théâtrale de Giraudoux. Après la réussite totale de Siegfried en 1928, qu’Albérès appelle la « seule pièce bien faite » de Giraudoux, celui-ci romanise son théâtre, c’est-à-dire qu’il y intègre des éléments considérés comme épiques et incompatibles avec la forme dramatique dans le sens aristotélicien du terme comme le pittoresque, l’irrationnel, ou l’irréel, qui sont cependant intrinsèquement liés à l’écriture giralducienne. En écrivant Ondine, Giraudoux parle de l’Allemagne dans son oeuvre théâtrale pour la seconde fois en neuf ans. Le point commun entre Ondine et Siegfried : l’hypotexte est écrit sous le signe du romantisme allemand et contient beaucoup de traits incompatibles avec l’écriture normative théâtrale, tels que déplacements consécutifs, scènes de rêve, identité du narrateur en crise... D’ailleurs Giraudoux emploie le même terme, « divagation » 495 , pour expliquer le thème des deux pièces. La comparaison entre le texte de La Motte-Fouqué et celui de Giraudoux sera intéressante pour mettre en relief le progrès de l’art de la composition dramatique de notre auteur. En deuxième lieu, son théâtre est modifié en fonction de la mise en valeur graduelle d’éléments particulièrement théâtraux, notamment l’art de mise en scène. La dramaturgie du théâtre de Giraudoux a suivi sa propre évolution, mais a aussi subi l’influence de Jouvet, puisque les deux hommes n’ont cessé d’interagir l’un sur l’autre. Quel rapport pouvons-nous établir entre l’interaction roman/théâtre sur la scène et une certaine « déformation » qu’on peut constater dans la structure de la pièce ? La question se pose très précisément à propos d’Ondine : c’est que les goûts pour la machinerie et la féerie s’y manifestent aussi nettement que dans la mise en scène de Jouvet de L’Illusion comique de Corneille à la Comédie Française (1937), qui est montée deux ans plus tôt. Nous sommes invités à penser à une filiation hypothétique entre les deux spectacles. Par ailleurs, l’étrange figure que Corneille fait apparaître dans sa pièce, Alcandre, nous évoque irrésistiblement la singularité de l’Illusionniste. L’examen de la fonction dramatique de ce personnage empreint de féerie constitue le troisième point de notre examen de la pièce.

Notes
494.

Voir : p. 48, note 1.

495.

« une divagation, dit-il, sur le sujet d’Ondine », Aux Ecoutes, le 6 mai 1939.