I Effet d’engagement politique : La Guerre de Troie n’aura pas lieu

Jacques Body alerte le public à propos d’une contrevérité formulée par Giraudoux au sujet de son engagement politique au moment de la création de La Guerre de Troie n’aura pas lieu : « Nul ne s’y est trompé – quoique Giraudoux ait prétendu qu’il ne voulait pas écrire une pièce d’actualité – ces Grecs et ces Troyens au bord de la guerre sont aussi bien les Français et les Allemands de 1935 » 570 . Quelle que soit la volonté de l’auteur, la pièce est considérée comme le deuxième engagement politique patent de Giraudoux après Siegfried, sa première pièce 571 . Les critiques dramatiques rapportent à la pièce la situation internationale critiquée et la menace de la Seconde Guerre Mondiale. Ils ont raison, puisqu’il y a des détails qui renvoient à l’actualité de l’époque : le pédant opportuniste Busiris évoque le débat sans issue mené par Nicolas Socrate Politis, auteur de La Neutralité et la paix, au sujet de l’invasion de l’Ethiopie par l’Italie en 1935 ; Quand Ulysse dit : « Les autres Grecs pensent que Troie est riche, ses entrepôts magnifiques, sa banlieue fertile » 572 , Troie se comprendrait comme une métaphore de la Chine aux yeux des Japonais, de l’Ethiopie aux yeux des Italiens, ou bien de la Rhénanie aux yeux des Allemands ; Giraudoux semble ridiculiser la Conférence de Stresa en faisant parler son personnage de l’entente mutuelle et amicale mais inefficace entre deux chefs des peuples en conflit lors de l’entretien organisé au bord du lac paisible 573 .

L’engagement politique de Giraudoux est traduit par l’intelligibilité du texte. Il faudrait que le public comprenne que la pièce est une prise de position résolue de la part de l’auteur. En effet, contrairement à beaucoup d’autres pièces, peu de critiques qualifient La Guerre de Troie d’incompréhensible. C’est ce qui rappelle que l’auteur facilite la compréhension du public suivant des conseils de Benjamin Crémieux et de Louis Jouvet lors de la rédaction de Siegfried et finit par rendre sa pièce « bien faite ». Pour rendre La Guerre de Troie n’aura pas lieu non moins éducative que Siegfried, Giraudoux semble s’orienter encore une fois vers la composition normative plutôt que vers l’épicisation du texte.

Notes
570.

Jacques Body, Giraudoux et L’Allemagne, p. 361.

571.

Quelques critiques tels que Henry Jamet accusent Giraudoux de ne pas faire entrer des personnages « réels » en chair et en os comme dans le cas de Geneviève ou de Siegfried dans la première pièce dramatique. L’accusation explique bien que la pièce contient un ton nettement politique, car sans se rappeler l’actualité politique de l’époque, le critique ne deviendrait pas aussi frustré du manque de la « réalité » dans La Guerre de Troie n’aura pas lieu.

572.

La Guerre de Troie n’aura pas lieu, p. 546.

573.

Ibid., p. 544. « A la veille de toute guerre, il est courant que deux chefs des peuples en conflit se rencontrent seuls dans quelque innocent village, sur la terrasse au bord d’un lac, dans l’angle d’un jardin. [...] Et lendemain pourtant éclate la guerre... »