III Pour Lucr èce : au prix de la vie de l’héroïne

Giraudoux ne voulant pas « laisser passer l’occasion unique d’écrire une marche funèbre » publie une variante de Siegfried intitulée « Fin de Siegfried », texte à la fin duquel le héros perd la vie. Au moment de sa publication, l’auteur ne « prévoit pas, pour ses prochaines pièces, de personnages assez sympathiques pour qu’on puisse les tuer sur la scène même » 616 .

Pourtant, Giraudoux laisse mourir dorénavant beaucoup de personnages. Lucile dans Pour Lucrèce, en est un exemple. Jean-Louis Barrault dit lors de la création de la pièce en 1953 que celle-ciest une « tragédie de pureté » 617 . Est-ce que Giraudoux voulait rendre hommage à Racine, son auteur favori, en rédigeant une tragédie au terme de sa carrière professionnelle et est-ce pour cela qu’il a besoin de laisser mourir le personnage symbolisant la pureté ? Peut-être, mais ce qui nous semble plus important à faire remarquer est que la pièce peut se lire comme une mise en doute de la dramaturgie narrative, non moins intransigeante que dans le cas de Sodome et Gomorrhe.

Nous sommes intéressés à relire cette adaptation du mythe de la femme chaste violée comme une espèce d’autocritique contre l’écriture dramatique élaborée au fil des années et à réfléchir, dans ce contexte, au pourquoi de la mort de Lucile, incarnation de la fidélité mythologique. Nous allons constater d’abord la curieuse évolution régressive : alors que le théâtre de Giraudoux s’oriente vers la représentation de la pluralité – dualité de personnages, prolifération d’intrigues secondaires, mise en image des voix chorales – l’auteur nous semble retourner à la fameuse traditionnelle composition dramatique qui exclut l’équivoque propre à sa dramaturgie narrative. Ensuite nous ferons remarquer que le « signe », notion chérie de l’auteur, est utilisé pour traquer Lucile, personnification de la pureté, à la différence des autres pièces où le signe est employé comme un passage encourageant qui aboutit à l’univers cosmique de Giraudoux. Après l’analyse du texte à partir de ces deux points de vue, nous allons essayer de trouver une réponse à la mort de Lucile.

Notes
616.

Fin de Siegfried, p. 93.

617.

Jean-Louis Barrault, « À la recherche de Pour Lucrèce », in Cahier Renaud-Barrault no. 2, 1953, p. 91.