3. Jouvet dans le texte

La folie est une notion qui hante Louis Jouvet. Plusieurs lignes sont consacrées à la comparaison entre le Théâtre et la folie dans son ouvrage, Le Comédien désincarné.

‘Théâtre : une folie.
Qu’est-ce que la folie ? Une erreur continuelle.
Et qu’y a-t-il en vous sinon deux natures incompatibles : un rêveur et un réel.
Folie des poètes, des amants.
« Un certain Grec, fou dans toutes les règles, qui passait des jours entiers assis tout seul au théâtre, riant de joie, battant des mains, parce qu’il s’imaginait qu’on jouait devant lui de magnifiques tragédies. »
Et quand sa famille, à force de remèdes, l’eut rendu à la santé, quand l’eut repris sa raison : « Oh ! mes amis, vous ne m’avez pas guéri, vous m’avez tué ! J’étais si heureux ! Vous m’avez arraché à la plus douce illusion. »
*
Folie : erreur des sens. – Travail de l’esprit : le Théâtre.
*
Le fou rit du fou. C’est un plaisir tour à tour rendu et prêté. 746

Pour établir le parallèle entre le théâtre et la folie, Jouvet rappelle le point commun de ces deux notions : la coexistence de deux éléments de nature différente ; rêveur et réel, malade et sain, bonheur et malheur, illusion et réalité, guérison et assassinat... Il est à noter que ce propos et la vie d’Aurélie convergent, car en effet, celle-ci s’érige en incarnation d’erreurs continuelles : l’erreur de voir le monde en rose, l’erreur de voir et ne pas voir la vision de ses amies, l’erreur de croire au jugement du faux tribunal, l’erreur de parler avec son vieil amour en rêvant et l’erreur de... se croire sage ? De même que la Folle fait tant d’erreurs pour l’emporter sur le réalisme pénible du monde, le spectateur est constamment ballotté entre le réel et l’irréel tout au long de la pièce.

Selon la datation publiée dans Le Comédien désincarné 747 , c’est pendant que La Folle de Chaillot est à l’affiche de l’Athénée que le metteur en scène formule ainsi ses idées sur le rapport essentiel entre le théâtre et la folie ; ce qui nous incite à relire la pièce à la lumière de l’entente profonde de ces deux hommes de théâtre. Cette relecture nous ouvre de nouvelles perspectives à l’interprétation de la pièce...il y a Jouvet dans ce texte : Jouvet-acteur, Jouvet-théoricien du théâtre.

Notes
746.

Louis Jouvet, Le Comédien désincarné, pp. 261-262.

747.

Le parallèle entre le théâtre et la folie est évoqué dans (« Le théâtre satisfait en nous. Répond à (sic) », écrit le 5 octobre 1946.