Introduction

Aborder les situations de handicaps et leurs représentations sociales, c'est poser d'emblée la question du regard porté sur les personnes atteintes de déficience, en prenant en compte la place qu'elles occupent au sein de la société.

Au Congo-Brazzaville comme partout ailleurs dans le monde, la personne handicapée revendique de nos jours, au travers des institutions et des associations spécialisées, une identité. Parfois rejetée et niée, parfois assistée et rapprochée de notre compassion, la personne handicapée mérite une identité statutaire légitime. La terminologie pénalisante sur les handicaps renvoie à un regard particulier qui met l'accent sur les déficits physique, sensoriel ou intellectuel, en occultant les potentialités et les aptitudes que détient encore la personne handicapée.

La principale loi congolaise numéro 009/92 du 22 avril 1992 portant Statut, Protection et Promotion de la Personne Handicapée, exige le principe de l'intégration, de lutte contre l'exclusion et la prise en compte des handicaps, quelle que soit leur forme. Quinze ans après, qu'en est-il du vécu réel de la personne en difficulté physique, sensoriel ou mentale ? Cette loi, qui par défaut de mieux, est acceptée par les diverses et dynamiques associations de/pour personnes handicapées, demeure inapplicable par manque de décrets d'application, malgré sa publication au journal officiel depuis 1992. Cette apparente négligence de la personne handicapée par les autorités compétentes conduit à une certaine forme d'exclusion et de marginalisation, tout au moins sur le plan institutionnel.

Au plan social, c'est surtout l'effort individuel et la solidarité familiale qui jouent. L'Etat mène plusieurs actions spontanées en faveur des personnes en situations de handicaps sous forme de : dons et subventions aux associations, organisation des séminaires, colloques et manifestations socio-culturelles, ratification des textes internationaux se rapportant au domaine du handicap. La solidarité exprimée spontanément ou reconnue par des textes sans décrets d'application ne résout pas le problème identitaire. La question de l'identité reste en effet centrale, si l'on considère que le vécu des personnes handicapées est, en partie, déterminée par les représentations du handicap au sein de la société.

En plus des coutumes, des moeurs, bref des considérations socio-culturelles, l'action éducative, rééducative et pédagogique dans l'acquisition d'une autonomie sociale est un atout important pour l'insertion des personnes handicapées. Le but serait de donner à ces personnes la possibilité de s'épanouir à partir de l'intervention, non seulement des parents, mais aussi des professionnels spécialisés et de faciliter leur participation à des activités valorisantes, ce qui rendrait possible une certaine nouveauté dans le regard.

L'Organisation des Nations Unies (O.N.U.) reconnaît, depuis 1975, aux personnes handicapées les mêmes droits fondamentaux que les autres citoyens du monde : "Le handicapé a essentiellement droit au respect de sa dignité humaine. Le handicapé, quelles que soient l'origine, la nature et la gravité de ses troubles et déficiences, a les mêmes droits fondamentaux que ses concitoyens du même âge, ce qui implique un ordre principal, celui de jouir d'une vie décente, aussi normale et épanouie que possible" 1. La traduction de ces droits en actes ne connaît pas le même succès au niveau de chaque pays membre de l'ONU ; ainsi la situation des handicapés au Congo reste déplorable.

Il est connu que le handicap est un objet de recherche souvent circonscrit assez nettement dans le domaine de la santé, tout en offrant à l'analyse plusieurs facettes. En tant que psychologue, le même objet nous intéresse par son côté psychosocial à travers l'observation de la différence, de l'étiquetage, de la stigmatisation, des mesures de protection, d'aide, d'adaptation et d'intégration.

En effet, nous voulons cerner les représentations générées ou mobilisées par le handicap d'une personne au sein de son entourage proche (parents, amis, éducateurs, responsables institutionnels) et au sein de son environnement social global. Il s'agit de mettre à jour la place spécifique que fait la société congolaise à la personne handicapée, en référence principalement au handicap physique, à la déficience sensorielle ou mentale, sans oublier d'analyser les conditions de son insertion socio-professionnelle. Nous nous sommes aussi interrogés sur l'impact du changement (social, économique, politique et culturel) de la société congolaise sur les représentations des situations de handicaps, en prenant en compte les considérations socio-culturelles traditionnelles ou ancestrales.

Notre choix sur le thème "handicaps et représentations" présente un double intérêt qui justifie la double approche psychologique et socio-culturelle.

En psychologie, la notion de "représentation" fait l'objet de plus en plus d'études interdisciplinaires. Le récent développement des sciences cognitives lui donne une place, non seulement dans les neuro-sciences, mais aussi, à côté de la logique et de la linguistique, dans la psychologie. Consacrée par FREUD en psychanalyse et par PIAGET en psychologie génétique, elle a reçu avec MOSCOVICI (1961), par la conceptualisation de la "représentation sociale" son élaboration la plus poussée, nous permettant de rendre compte des relations sociales et d'un phénomène de la vie comme le handicap.

Sur le plan socio-culturel le thème abordé est plus que jamais d'actualité d'un point de vue humanitaire, culturel et économique, au regard du nombre d'Organisations Non Gouvernementales et d'Associations locales qui se disent préoccupées par la situation des personnes handicapées, et qui mettent en place des aides pour leur insertion sociale.

Certes, on est en droit de craindre que les notions de handicap et de représentation, dans leur polysémie, ne favorisent le manque de rigueur et des visions simplificatrices ou biaisées des situations étudiées. Or, sur le plan scientifique, notre travail est à la fois une recherche de terrain, par notre démarche et une recherche fondamentale qui prend en compte la composante culturelle des représentations dont l'importance est décisive, particulièrement pour ce qui touche à la santé et à la maladie, et dont on sait qu'elle est un vecteur puissant pour la mise à jour de la structure et de la transformation des états représentationnels. Pour accéder à une compréhension de ce qui se joue dans les situations de handicap, notre démarche prend également en compte la voix des handicapés eux-mêmes.

Cependant, la complexité du domaine du handicap et le caractère polysémique de la notion de représentation nous conduisent à examiner ses rapports avec des concepts employés dans les différentes sciences humaines et d'articuler ses corrélats psychologiques et sociaux.

D'après Denise JODELET "Sous le label de handicap et d'inadaptation s'observe un ensemble de phénomènes qui se rapportent aussi bien au vécu, au statut et au rôle social de ceux qui en pâtissent, qu'aux perceptions, évaluations, jugements et réactions de ceux qui les côtoient et qu'aux pratiques de ceux qui, au nom de compétences diverses (travailleurs sociaux, thérapeutes, formateurs, administrateurs, législateurs) les prennent en charge ou les gèrent" 2.

Ces phénomènes et notions socialement construites prêtent donc à de multiples interprétations, appelant une approche qui mette à jour les dimensions psychologique et sociale.

Par l'intermédiaire d'enquêtes par questionnaires et par entretiens, nous avons tenté de dégager la nature et la spécificité des représentations sur les handicaps, chez les personnes ayant des contacts réguliers ou permanents avec les handicapés d'une part, et chez des personnes sans contacts ou, a priori, sans implication directe avec les handicapés.

Ainsi, pour satisfaire à cette exigence, nous avons choisi d'effectuer un parcours en huit chapitres, avec une structuration en cinq parties.

La première partie commence par une présentation géographique succincte du Congo-Brazzaville, avant une esquisse des définitions des notions polysémiques de représentation et de handicap. Cette partie se consacre aussi à une revue de quelques approches sur les questions du handicap à travers le monde, l'Afrique et le Congo ; ensuite à la circonscription du problème étudié (problématique), avant de retenir les trois hypothèses qui sous-tendent notre problématique.

Dans la deuxième partie, il est question des choix méthodologiques portant sur la population et les outils de recueil des données, en relevant les difficultés liées au choix des outils de recueil et d'analyse des données ; en raison de la complexité des représentations cognitives.

Les analyses statistiques et les principaux résultats sont présentés dans la troisième partie, où se dégagent les différentes représentations et attitudes vis-à-vis des personnes handicapées.

Ensuite, nous concluons sur la nécessité d'une reconnaissance du statut et de l'identité de la personne handicapée, en prenant en compte la composante socio-culturelle des représentations.

Enfin, la cinquième partie rassemble les documents annexes permettant d'éclairer le lecteur sur les parties qui s'y rapportent. On peut consulter : l'ensemble des résultats de l'Analyse de Variance sous forme de tableaux, variable par variable ; ainsi que l’intégralité de la principale loi congolaise portant sur la question du handicap.

Notes
1.

Déclaration des droits des personnes handicapées, adoptée par l'Assemblée Générale de l'O.N.U. à sa 2433ème séance plénière du 9 décembre 1975.

2.

JODELET D. : Représentations et handicaps : vers une clarification des concepts et des méthodes, CTNERHI, Paris, PUF, 1990, pp 3,4.